• Adèle, sa mère, l’accueillit avec un soupir de soulagement. Il rangea sa brassée de petits branchages dans une niche creusée dans le mur à gauche de la cheminée. Ses trois frères assis par terre devant les flammes s’amusaient à empiler des cailloux ramassés au bord de la rivière. Celui qui montait la pyramide la plus haute avait gagné.


    - Tu es parti plus d’une heure lui reprocha-t-elle, je me suis inquiétée… tu pouvais aller à la remise du Pierrot… il a dit qu’on pouvait se servir de temps en temps… Où donc es-tu allé ??
    - Au bout du grand chemin, près des bois noirs… répondit-il en regardant sa mère dans les yeux.


    Il savait qu’il risquait de se faire punir mais il n’eut pas envie de raconter de balivernes. D’ailleurs il ne mentait jamais. Ce qu’il n’avait pas envie de dire, et bien il le gardait pour lui, mais quand il parlait il disait vrai.

    Sa mère hocha la tête en fronçant les sourcils.
    - Ne retourne plus jamais là-bas… Certains disent que les loups reviennent s’installer aux roches… la Ninon les a entendus la nuit dernière… Si ton père apprend ça… !!
    - Mais tu ne lui en parleras pas, n’est-ce pas... ?
    - Non, pour cette fois je ne dirai rien


    Elle s’avança vers son fils aîné et l’entoura de ses bras. Les autres garçons s’approchèrent et se glissèrent entre leur mère et Lukas, pour profiter eux aussi de ce câlin. Ils éclatèrent de rire tous les cinq et les enfants reçurent une pluie de baisers sur le haut de leurs têtes.
    Puis Adèle les repoussa tendrement :
    - Allez les garçons... j’entends le père qui arrive ; je vais préparer la soupe...

    Bastien, Albin et le petit Landry montèrent dans la chambre pour y jouer en silence avant le souper. Ils savaient qu’ils devaient se tenir à carreaux quand le père revenait de chez l’Ernest. Ils aimaient bien boire la goutte ensemble. Un peu trop même et parfois ça dégénérait. Lukas resta avec sa mère pour l’aider à éplucher les légumes. Elle avait mal à ses doigts depuis quelques jours, ils étaient rouges, enflés et l’enfant l’assistait de son mieux. Demain il irait demander des herbes à la vieille Jeanne pour la soulager.

    ***********

    Ils étaient tous couchés depuis très longtemps mais Lukas, lui, ne dormait pas. Il avait déjà remarqué qu’il avait peine à trouver le sommeil certaines nuits de pleine lune. De plus le père ronflait comme le fourneau d’une forge et il se demandait comment sa mère pouvait supporter un tel boucan. Mais ce soir ça l’arrangeait bien, car il espérait entendre les loups de nouveau…
    Il se tenait droit comme un i sous l’édredon, ses mains jointes sur sa poitrine. Il entendait respirer ses petits frères endormis. Bastien et Albin dormaient dans un lit, Landry et lui occupaient l’autre lit. Une simple cloison de planches séparait la pièce du haut pour former deux chambres. Celle des parents donnait devant sur la voie caillouteuse qui traversait le village, celle des garçons avait vue sur le jardin potager et les champs.


    "S’il continue à ronfler comme ça je ne les entendrais pas" se dit Lukas qui commençait à s’impatienter.

    Alors il sortit du lit avec précaution, enfila ses pantalons de la veille et prit son gros gilet posé comme tous les soirs sur la chaise paillée qui faisait office de table de chevet. Il traversa la chambre sur la pointe des pieds, écarta les vieux draps qui pendaient de la grosse poutre et servaient de tentures entre la pièce et l’étroit palier. Léger comme un chat il descendit sans bruit l’escalier de bois. En bas, il chaussa ses galoches rangées près de la porte et mit dans sa poche le briquet à amadou. Il attrapa la grande cape du père pour s’y envelopper, fit glisser le verrou et s’éclipsa par le jardin à la belle étoile en direction des étables.Le chat du voisin qui se trouvait là en quête de mulots vint vers lui en ronronnant et se frotta à ses jambes. Lukas s’accroupit et flatta son dos rond.

    Il avait de la chance : la lune complice de son escapade luisait de tout son éclat. Un chien aboyait quelque part au bout du village. Il traversa la parcelle de champ voisine, longea les ruches endormies, contourna le tas de fumier et enfin souleva le loquet de l’étable. Il alluma le briquet d’un coup sec du pouce et tira le lourd battant pour entrer. Finaud qui dormait là toutes les nuits lui fit un accueil chaleureux en bondissant comme un fou autour de lui. De ce côté ci étaient stockés la paille et le fourrage, de l’autre se trouvaient l’étable et les six vaches. Les mangeoires s’alignaient au milieu, séparées les unes des autres par des poutres massives dressées du sol jusqu’au premier niveau fait de planches épaisses. L’espace entre ce plafond bas et le toit servait de grenier et de réserve à foin. Une vache avait passé sa tête par dessus sa mangeoire et regardait le garçon d’un oeil débonnaire. Il caressa d’un geste doux le mufle humide et se dirigea vers le fond de l’étable. Lukas vérifia l’équilibre de l’échelle dirigée vers le grenier et grimpa souplement. Il faisait bon là-haut ; il souffla la flamme du briquet et s’allongea dans le foin odorant en se couvrant de la large cape du père. Finaud déçu d’être abandonné gémissait au pied de l’échelle.


    Lukas patienta longtemps en vain. La campagne semblait profondément endormie… Seuls quelques aboiements parvenaient de temps à autres du bas du village. Lukas admit qu’il serait plus raisonnable de retourner se coucher ; il avait veillé deux longues heures pour rien. Il redescendit du grenier prudemment, quitta l’étable et Finaud. Il avait à peine dépassé la rangée de ruches qu’un appel retentit du cœur des bois Jandreau. Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 2

    Alors la clameur s’amplifia et le chant des loups monta dans le lointain. Ils semblaient plus nombreux que la nuit d’avant et leurs hurlements s’alliaient en une véritable symphonie. Lukas s’arrêta et ferma les yeux pour écouter ; il aimait ces arpèges mélancoliques qui s’étiraient avec lenteur en déchirant les ténèbres.


    "C’est comme le vent de l’hiver qui souffle ses plaintes dans les hautes branches des sapins, que c’est beau…." pensa-t-il.
    Il sentit une immense joie dans sa poitrine… Il rouvrit ses yeux, fixa la lune en arrondissant sa bouche. Puis il avança ses lèvres et murmura en soufflant :
    - Hooouuuuu……… Hoooouuuuuuuuu………

    Enfin il envoya un sourire au ciel et se hâta vers la maison silencieuse en remerciant la nuit pour ce merveilleux cadeau.


    ********

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