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    Vieille Jeanne le regarde s’éloigner, les yeux emplis de bienveillance.  

     

    ‘Va mon grand, pars à la découverte de toi même et explore ton immensité, ton être renferme tant de trésors que tu ignores encore, il te suffit de déchirer le voile…’ 

     

    Lukas ne sent pas les cailloux sous ses semelles, il lui semble flotter au-dessus du chemin, pareil à la graine de pissenlit qui vagabonde, légère, au gré de la brise d’été, et qui se pose ici, sur un buisson d’aubépines, ou là, sur une feuille de pommier en fleurs.

     

    Son visage a blêmi depuis qu’il a absorbé l’élixir et ses pupilles élargies assombrissent ses prunelles. Il a laissé ses pensées s’endormir dans un coin de son cerveau ; il savoure pleinement l’instant présent et son regard affiné lui révèle la magnificence de la nature. La campagne qui l’entoure semble avoir revêtu pour lui sa plus belle parure végétale, mosaïque chatoyante d’une profusion de verts, du jade le plus tendre à l’émeraude le plus profond. Les herbes sauvages criblées de mille gouttelettes de pluie scintillent sous les caresses du soleil qui décline et les coquelicots écarlates ensanglantent le bord du sentier. Un papillon blanc vient se poser sur son épaule, frémit des ailes puis repart vers un tapis de pâquerettes pour s’y abreuver. L’air transparent vibre encore de la fraîcheur de l’averse passée, et Lukas s’en remplit les poumons en longues bouffées vivifiantes.

     

    Il glisse ses doigts dans ses cheveux qu’il rejette en arrière puis il lève ses mains en calice vers le ciel en un signe de connivence sacrée. Un merle, guettant dans un bouquetBlog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 23 de noisetiers, salue son passage d’une mélodie toute en trilles ondoyantes. Il avance vers les premiers arbres des bois noirs ; les branches se penchent sur lui et dans un murmure de feuilles, l’invitent en son royaume.  

     

    Il sourit, exalté de se sentir si vivant et se met à courir, à bondir par dessus les broussailles. Tel un animal sauvage son corps assoupli s’élance avec agilité, se faufile sous les basses branches, fait fi des quelques épines qui griffent sa peau nue. Il se laisse porter par cette nouvelle force qui l’anime, et cet instinct qui resurgit de la nuit des temps le fait glapir puis hurler pour annoncer sa venue à ses frères du passé. 

     

    Il déboule dans la clairière et la horde l’accueille avec des jappements de joie ; les plus jeunes gambadent autour de lui et la mère louve blottit son museau dans le creux de ses mains. A genoux dans les feuilles il pose son front sur sa tête blonde et l’agace un peu par des à-coups taquins. Alors elle se retire et s’esquive vers la rivière qui cascade derrière les roches rondes.

    Lukas la suit et la rejoint sur la rive où elle se désaltère longuement. Le garçon s’agenouille sur le gravier et lèche les écorchures de son poignet. Puis il se penche vers les eaux agitées, plonge ses mains en coupe et boit plusieurs gorgées ; ça a un goût de pierres, de feuilles, du coeur de la terre, de feu. Ca coule froid dans son corps, réveillant une vitalité nouvelle.

    Il l’entend, profondément en lui, chuchoter ; quelque chose dans le creux de ses reins a vibré. Quel est donc ce miracle… Le feu qui couvait en son centre se ranime. 

     

    Alors il se redresse, tend ses mains vers les hautes frondaisons et se met à tourner, tourner, tourner encore, et encore, de plus en plus vite...

    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 23

    Il tournoie et ses bras dessinent des arabesques... Les arbres, les roches, les loups, la rivière, les branches se mélangent et s’étirent en une spirale sans fin qui danse autour de lui et accompagne sa ronde. Il brûle de l’intérieur, la force serpentine monte le long de son dos comme la sève dans le tronc d’un arbre, chacun de ses inspirs s’empare un peu de la puissance du ciel et le nourrit.

     

    Dans sa dérive il heurte un chêne et s’y accroche pour ne pas s’écrouler car il vacille. Il plaque son corps contre l’écorce et enfonce ses doigts dans les mousses, agrippe les lichens. Ses yeux révulsés sont assaillis d’images et des paysages merveilleux s’imposent à lui et défilent à une vitesse fulgurante ; des visages inconnus et d’une beauté indescriptible s’accrochent aux rameaux du vieux chêne, puis s’évanouissent pour laisser la place à des faisceaux fugaces de couleurs transparentes encore jamais vues. Les feuilles et les branches s’irisent et semblent diffuser une lumière dorée, incroyablement douce et protectrice.

     

    Submergé par tant de beauté, Lukas se met à trembler puis relâche son étreinte pour se laisser tomber au pied du chêne. Il penche sa tête sur le côté et ferme les yeux... la chaleur qui bouillonne en lui perle sur son visage et coule le long de ses tempes. Son coeur martèle dans sa gorge, dans son cerveau, jusqu’au bout de ses doigts. Des sifflements et des tintements de cloche traversent ses tympans. Il n’est plus qu’un fracas qui emplit la forêt et c’est avec peine qu’il parvient à émettre la pensée qu’il va peut-être mourir là si ce tumulte ne s’arrête pas.

     

    Il ne peut lutter et se laisse emporter tel un fétu de paille dans ce qu’il lui semble être un torrent de lumière. Il ne sait s’il tombe ou s’il flotte, il ne sent plus son corps, il n’est plus que conscience dans l’infini de son être.  

     

    Et pourtant Lukas est là, assis contre le chêne, les yeux fermés sur son voyage à l’intérieur de lui-même. De temps à autre il murmure des mots incompréhensibles et des larmes coulent sur ses joues. Soudain il se met à crier.  C’est fini.   

    Il revient lentement à la réalité ordinaire. Il a même un peu froid et ouvre les yeux.   

    Quelques lueurs mauves flottent encore au-dessus de la rivière et les roches rondes semblent auréolées d’un halo d’argent. Les loups sont allongés, tranquilles et silencieux.

    Seule Blondine est assise et fixe Lukas. Et il perçoit de la bonté dans ce regard. Oui, de la bonté et de l’amour.

     

    Alors il ressent en lui éclore et s’épanouir une douce sensation qui ressemble à de la joie, mais amplifiée, comme si toutes les joies et tous les petits bonheurs qu’il avait connus depuis toujours s’étaient rassemblés pour ressurgir en un seul émerveillement. Tout n’est qu’harmonie à cet instant, et ivre de bonheur il pense :

     

    ‘Je peux voir le monde dans un grain de poussière, 

    Le ciel dans une fleur sauvage,

    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 23 

    Tenir l’infini dans la paume de ma main 

    Et l’éternité dans la seconde qui passe.’ 

     

    « Voice of nature »

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