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    Assise en amazone sur le porte-bagages du vélo, Thilde enserrait d’un bras la taille de Lukas, et maintenait de son autre main les pans de sa jupe qui voletait au vent. La tête contre le dos du jeune homme, elle bénissait ses parents de lui avoir permis de se rendre avec lui à la fête de la Saint-Jean, organisée à Sainte-Croix de Bruyères.

    Adèle et le père Gervais avaient également accepté cette escapade de leur fils, en récompense de son certificat d’études obtenu sans difficultés. C’était la première fois qu’ils s’en allaient ainsi s’amuser tous les deux et ils avaient prévu d’arriver juste à temps pour l’allumage du brasier traditionnel. Ensuite il y aurait un grand bal pendant que le feu se mourrait. Ils étaient enchantés, c’était le premier jour de l’été et c’était leur soirée. 


    ~~~o~~~


    Déjà un attroupement s’était formé autour du bûcher, dressé sur la place de l’église. Lukas et Thilde s’approchèrent, les doigts mêlés. Des bottes de chaume avaient été disposées en cercle, et au milieu chacun pouvait y jeter des rameaux, brindilles et branchages, ou quelques brassées de foin. Les villageois arrivaient de tous côtés, et certains apportaient même des fagots entiers. Le soir glissait doucement vers la nuit. Quand le bois entassé fut suffisant pour donner une magnifique flambée, le cantonnier piqua dans chaque gerbe de paille une longue branche et érigea ainsi un faisceau se joignant au sommet.

    Le curé qui observait les préparatifs depuis son église s’avança bientôt, un cierge allumé à la main. C’était lui qui désignerait, comme chaque année, la personne qui aurait le privilège d’embraser le bûcher. Chacun dans l’assistance espérait recevoir cet honneur, qui revint cette fois-ci au doyen, vieux déjà de quatre vingt un ans. D’une main tremblante il saisit le cierge enflammé et en effleura les touffes de foin.


    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 32


    Une rumeur passa alors parmi la foule. Dans un crépitement vorace les premières flammes dévorèrent les fétus les plus tendres puis en ondulant elles rongèrent les gerbes, glissèrent leurs langues de feu vers le coeur du bûcher qui palpita et s’enlumina. Puis les flammes jaillirent, s’allongèrent pour lécher les branches dressées. Quelques badauds applaudirent, puis tous s’exclamèrent quand le brasier s’épanouit en une immense fleur incandescente.  

    Thilde leva la tête vers Lukas et lui offrit un sourire radieux. Il se pencha vers elle pour un baiser sur sa tempe puis entoura ses épaules de son bras.

    Les flammes ondoyaient, chuintaient, crachant leur chaleur par vagues torrides. 


    Les premières plaintes d’une chabrette s’échappèrent du kiosque à musique, puis le violoneux martela du pied sur le plancher : 

    ‘Un, deux, trois.... un, deux, trois.... en place jeunes gens... !’ et entama une gigue entraînante.


    D’un commun accord les demoiselles se prirent par la main pour former une ronde autour du brasier et tournèrent à pas chassés en riant. Clothilde les avait rejoint avec enthousiasme. Les garçons les encerclèrent pour une farandole à contre sens. Les adultes autour frappaient dans leurs mains. 


    Tous espéraient que cette traditionnelle danse à neuf tours exaucerait leurs souhaits d’épousailles dans l’année ou livrerait à celle-ci un fiancé, à celui-là une promise. Les regards se croisaient entre les flammes dansantes, les yeux brillaient et les joues des filles s’illuminaient de lueurs mouvantes.


    Thilde pria Saint Jean-Baptiste avec ferveur. 

    ‘Fais que le coeur de Lukas, mon bien-aimé, soit lié à mon coeur pour toujours, et qu’il veuille bien faire de moi son épouse. Amen’ 


     Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 32


    Elle le cherchait dans la ronde et quand Lukas passait de l’autre côté son regard s’accrochait au sien pour quelques instants puis elle le perdait, effacé par les rebonds des autres jeunes filles.

    Le violoneux agitait son archet de plus en plus vite en tapant du talon, la chabrette pleurnichait et peinait à suivre le rythme endiablé. Thilde tournait et s’étourdissait, le visage de Lukas lui apparaissait par-delà les flammes puis s’évanouissait, happé par le tourbillon. Enivrée par la sarabande elle riait, la tête renversée en arrière, des flammèches se détachaient du feu en pétillant, sa longue tresse valsait sur ses reins, sa jupe virevoltait et dévoilait ses jambes…


    A l’écart de la fête, l’épaule appuyée contre un tilleul, un homme l’observait depuis un moment.

    Quand le violon et la cornemuse se turent et que la jeunesse put reprendre son souffle, il enfonça son chapeau sur sa tête et s’éloigna dans la nuit. 


    Lukas rejoignit Thilde et la serra dans ses bras. Elle s’abandonna contre sa poitrine en soupirant ; son coeur battait encore vite et fort.  


    Les musiciens attaquèrent une polka. Beaucoup dansaient, mais les plus jeunes s’étaient armés de flambeaux et quittaient la place pour envahir les rues en chantant. Lukas interrogea Thilde d’un signe de la tête, mais elle n’eut pas envie de rejoindre la cavalcade. Le jeune homme lui prit la main et l’entraîna à l’écart sous un tilleul. C’était une belle soirée étoilée, il faisait encore chaud, un peu trop même. Ils regardèrent pendant quelques minutes les couples sauter et glisser avec entrain puis le jeune homme se tourna vers Clothilde adossée à l’arbre, lui fit face en emprisonnant ses doigts dans ses mains.


    Il s’avança et approcha son visage près du sien, jusqu’à la toucher. Front contre front et yeux dans les yeux, ils échangeaient leurs souffles et la chaleur de leur corps. Lukas pencha sa tête et de sa joue caressa la joue de Clothilde en semant de petits baisers au creux de son oreille. Il explora la douceur de son cou du bout de ses lèvres, se promena encore et vint s’échouer au seuil de sa bouche qui s’entrouvrit pour accueillir un premier vrai baiser.

    Il l’enveloppa tendrement de ses bras. Thilde les yeux clos ne voyait plus rien de la fête, ni du brasier qui s’effondrait sur ses braises en une lente agonie. Elle serrait de plus en plus fort la taille de Lukas entre ses bras pour s’y diluer à jamais, il ressentait son trouble par le frémissement de ses lèvres douces sur les siennes et se laissa emporter avec elle à la dérive de cet émoi nouveau, longtemps, longtemps.  

    Ils ne pouvaient détacher leur regard l’un de l’autre, ils avaient tant à découvrir et le peu qu’ils s’étaient offert leur avait parut tellement merveilleux…

    Là-bas le feu se mourait, quelques villageois sautaient par dessus les tisons pour s’attirer un peu de chance pour l’année. Quand enfin ils revinrent au monde qui les entourait Lukas saisit Clothilde par le poignet et l’entraîna vers les restes rougeoyants.

    Alors en courant ils se précipitèrent et bondirent ensemble par dessus les cendres chaudes, main dans la main. 


    A l’horizon, la chaleur lourde se transformait en nuées orageuses et menaçantes qui engloutissaient les étoiles. 



     

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