• Coeur meurtri

    Vendredi 20 octobre 2006 – Vers 19h30

    Il sortit du studio de fort mauvaise humeur. Il lui semblait vivre un vendredi noir, qui avait commencé par la crevaison d’un pneu. De plus les maquettes de son album en préparation ne le satisfaisaient pas vraiment, il envisageait même de reprendre entièrement trois de ses titres. Tout lui semblait médiocre, et il n’avait pas son compte de chanson pour un album complet. Pour clôturer le tout, le technicien du son s’obstinait à lui balancer une musique trop forte à son goût. Perdue pour perdue, il préféra abréger cette journée plus tôt que prévu. Il avait grand besoin de se détendre.

     

    - J’ai fait de la daube toute la semaine se dit-il furieux en démarrant sa voiture.

     

    Mais il savait parfaitement que ce qui le contrariait le plus était le silence de Krystal. Elle n’avait pas daigné téléphoner. Il restait avec ses souvenirs et ses espoirs en suspens. Ses parents continuaient à entasser des monceaux de lettres pour lui, recevaient trente appels téléphoniques par jour à son sujet et la fille à qui il confiait son numéro ne l’appelait pas. Là il ne comprenait pas trop. Remarque, ça ne faisait que quatre jours ; ce n’était pas si loin que ça... Cette évidence le réconforta un peu.

     

     

     

    Dès qu’il arriva chez lui il alluma l’ordinateur et pria pour que sa connexion fonctionne enfin. L’appareil faisait de temps à autre un bruit bizarre. Il observait l’écran en se frottant la joue, et son cœur bondit de joie quand il vit la page d’accueil s’afficher enfin. Il soupira d’aise, et tapa son propre nom dans la fenêtre de recherche. Il fut effaré par le nombre de pages qui parlaient de lui. Il lui fut facile de trouver son site de soutien, c’était le tout premier de la liste.

     

    Bon, allez : faire entrer sur la première image... ça rame... ça rame... et en plus voilà des fenêtres de pub qui parasitent le site.... Cliquer sur les croix pour les fermer...

    Alors maintenant... bon, c’est où... ah ! la zone de droite indiquée Statistiques, y’a Forumers, ça doit être ça... clic...

    La page s’affiche, sursaute, devient blanche pendant quatre secondes et revient définitivement. Ouf, ça c’est fait. Maintenant, comment la retrouver ? C’est comment son pseudo déjà ?? Doucette ? Il n’en était même pas sûr, comment faire... ??

     

    Il prit le temps de regarder chaque rubrique de la page principale, jusqu’en bas où il vit le cadre "qui est en ligne". Il ouvrit des yeux ronds : 3839 membres enregistrés... pour le coup il hallucinait. Et 63 utilisateurs en ligne. Voyons voir.... c’est dans les D ça j’en suis sûr.... Yeesss ! c’est ça, Douce-Amère. Elle est connectée ; j’ai une chance moi...

     

    Impatient il cliqua sur le pseudo et se retrouva devant la fenêtre d’identification.

    - Ohh... m**deee !!!! comment faire pour passer incognito... !? Ah oui…

    Il se rappela que lorsqu’il était venu quelques fois sur le forum alors qu’il se trouvait chez son amie Franceska elle l’avait mis en mode ‘invisible’, ce qu’il trouvait très pratique. Généreux, le net lui afficha la fenêtre "Tout à propos de Douce-Amère". En fait il n’y avait pas grand-chose ; son inscription datait du 23 juin 2006, 21 messages, âge 27 ans, localisation Ile de France. Pas d’avatar.

     

    Une petite ligne attira son attention : trouver tous les messages de Douce-Amère. Il cliqua, espérant ainsi se rapprocher d’elle.

    Son dernier post était un poème, récemment envoyé. Très récemment même, ça faisait à peine dix minutes.

     

    Il cliqua sur le lien du sujet et lu :

     

    Un jour de plus ou un jour de moins

    Qu’est ce que ça peut bien faire

    Puisque tu es si loin

    Tous ces longs jours si vides, ajouté un à un

    Feront une vie gouffre, un tombeau pour destin

    Qu’est ce que ça peut bien faire

    Puisque tu es si loin

    Que le soleil m’éclaire

    Je ne vois plus mon chemin

    Et si parfois le vent vient te parler de moi

    Ne l’écoute pas, non, ne l’écoute pas

    Même si le vent te crie que j’ai le mal de toi

    Ne le crois pas, non, ne le crois pas

    Et quand les jours de pluie tu recevras mes larmes

    Ne t’y noies pas, non, ne t’y noies pas

    Un jour de plus, un jour de moins

    Qu’est ce que ça peut bien faire

    Puisque tu es si loin

    Qu’est ce que ça peut bien faire

    Tous ces longs jours si gris

    Ajoutés un à un s’il m’apportent l’oubli.

     

     

    Il recommença sa lecture encore, encore et encore. C’était comme un chant désespéré, un aveu d’amour à mort, quelques larmes de sang perlant d’un cœur meurtri.

     

    Il regarda dans la colonne de gauche, en rouge était inscrit ‘Hors ligne’.

     

     

    Samedi 21 octobre – 20h25

     

    Son portable à la main Krystal venait de renvoyer balader pour la énième fois un Benoît qui s’engluait dans une relation qu’elle avait déjà classée dans les histoires anciennes. Il venait de lui parler d’amour avec un grand A, avait avoué qu’il lui était accro et qu’il comprenait mal qu’elle puisse trancher dans le vif aussi facilement et rompre sans état d’âme. Il avait aimé leur rencontre dans l’avion alors qu’ils rentraient tous les deux d’un séjour à Djerba. Il avait aimé sa peau et leurs ébats enfiévrés. Son rire lui manquait, ainsi que ses silences impénétrables alors que son regard se perdait dans une sorte dérive mélancolique. Elle lui avait échappé et il devenait fou, il était amoureux de cette fille mystérieuse, insaisissable et qui semblait maintenir autour d’elle un no man's land qu’elle interdisait à quiconque de franchir.

     

    - le grand amour… ricana-t-elle... tout ça c’est des conneries.... Y’a pas d’amour... nulle part ; ça n’est qu’un leurre qui nous sert à colmater nos propres brèches...

     

     

    Assise dans son fauteuil en osier elle composa un numéro. Se ravisant, elle raccrocha. Elle se leva pour aller dans la cuisine, se prépara un rhum Mojito puis revint s’installer dans le salon. Elle but deux gorgées puis rappela le numéro, le coeur battant.

     

    Une sonnerie- - Deux sonneries – Trois sonneries – Quatre sonneries.

     

    - Allo... ?! fit une voix fatiguée

     

    - ....c’est Krystal...

     

    Elle eut pour toute réponse un silence interminable suivi du ...tut... tut... tut... d’un téléphone raccroché.

    Ses yeux se remplirent de larmes qui débordèrent pour rouler sur ses deux joues. Elle secoua sa tête, respira profondément à trois reprises en serrant les dents et se sentit soulagée. Elle essuya ses joues avec ses manches, finit le verre de rhum et décida de sortir.

     

     

    Ce même samedi – 22h40

     

    Quand elle fit son entrée ‘Chez Charly’, piano-bar réputé de la capitale, elle remarqua de suite l’homme au chapeau de cuir assis à la troisième table. Il n’était pas seul, et bavardait avec deux autres amis en fumant un fin cigare. Elle choisit une table individuelle et commanda une vodka au citron vert et au gingembre. Le pianiste jouait et chantait une reprise de Fever très personnelle, qu’elle adora. Elle bu son cocktail par petites gorgées, et quand la chanson fut terminée, elle se leva et se dirigea vers le piano. Sa robe de mousseline noire virevoltait autour de ses mollets et ses courbes douces attiraient les regards, attisaient la convoitise. Elle demanda au pianiste s’il connaissait Sunny et s’il pouvait jouer ce titre. Répondant par un sourire il joua les premières mesures et se mit à chanter. Krystal resta près de lui, espérant retrouver l’émotion mille fois éprouvée par l’interprétation de Christophe. Mais il n’était qu’un pâle reflet. L’homme au chapeau de cuir vint la rejoindre et frôla son épaule nue. Elle leva la tête vers lui, le regard terni par l’alcool. Il lui sourit et lui commanda un second cocktail.

     

     

    Quand ils quittèrent le bar, une pluie fine tombait et s’accrochait en mille gouttelettes dans les cheveux de Krystal. L’homme l’entraîna jusqu’à sa voiture garée dans une rue sombre. Assise près de lui  sur la banquette arrière, elle se laissa emporter sans remords par son désir du moment, au gré de ses lèvres à lui qui se promenaient dans son cou et de ses mains qui exploraient sa peau comme en terrain déjà connu.

    Juste pour un moment de vertige, juste pour apaiser les sens. Mais ne pas s’attacher, surtout ne pas s’attacher.

     

     


     

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