• La descente aux enfers

    Vendredi 12 janvier – 7h30

    Krystal ouvrit les yeux et frissonna. Il devait faire vraiment très froid dehors. Par delà la fenêtre elle voyait le lampadaire qui cognait sa lumière blafarde contre un mur de brumaille. Elle devinait les toits des pavillons plus loin, recouverts d’une épaisse couche de neige tombée pendant la nuit. Les branches des arbres ployaient sous leur poids. Elle se redressa et s’appuya contre son oreiller.

    Soudain elle se rappela et une sueur glacée perla sur son front et dans son cou. Christophe là-bas étendu dans l’entrée... Les images lui revenaient par vagues et lui pilonnaient les tempes. L’effroi la clouait dans son lit et sa respiration se faisait de plus en plus rauque. Il fallait absolument qu’elle se lève pour aller travailler...

    Non.

    Non, elle n’irait pas travailler... D’ailleurs elle n’irait plus jamais nulle part. Elle était une criminelle... pire, un monstre...

    Elle s’arracha de son lit comme une somnambule et se dirigea vers l’entrée, les yeux hagards. Le coeur battant à tout rompre elle dépassa le fauteuil en osier et regarda vers l’entrée.

    Il n’y avait rien. Pas d’amour gisant là, pas de sang sur le sol, et le vase bleu trônait où elle l’avait posé, sur le meuble ciré. Tout était calme et tranquille, elle entendait juste l’horloge de la cuisine qui lui disait de se hâter, et la petite fontaine du salon qui coulait son eau sur les coquillages en gargouillant.

    Elle revint s’asseoir dans le fauteuil. Elle ne comprenait plus ; elle avait pourtant vu Christophe s’effondrer sous le coup violent qu’elle lui avait porté à la tempe. Elle avait encore en mémoire la vague rubis inonder son cou et son épaule.

    Il lui avait jeté un regard rempli de larmes où se mêlaient la peur et l’incompréhension et ses derniers mots résonnaient encore à ses oreilles quand il avait imploré : ‘Pourquoi Krystal, pourquoi ?’.

     

    Terriblement éprouvée, écartelée entre choc et soulagement, elle se sentit tout à coup si lasse, si vide, si inutile, si rien... qu’elle se mit à sangloter toutes les larmes de ses tripes. Elle avait l’impression de devenir folle ; ce rêve qu’elle avait vécu n’était-il pas le reflet de ses démons intérieurs ?

    Il suffit parfois d’un tout petit rien pour basculer dans la démence. Ce petit rien était-il arrivé ?

    ‘Tu es capable du meilleur comme du pire...‘ lui avait dit Christophe récemment. Il avait raison. Elle pouvait très bien commettre le pire des actes pendant un moment de crise ; elle ne savait pas se maîtriser.

    Ce rêve était un avertissement. Tu es une folle dangereuse prévenait-il.

    Oui, c’est ça : folle et dangereuse.  

    Elle se leva et ferma les volets de chaque pièce. Elle s’isola du froid de dehors ; de toutes façons tout était recouvert d’une telle épaisseur de neige qu’il était impensable de prendre la voiture pour se déplacer. Il commençait même à geler. Elle enfila par-dessus son pyjama le pull velours noir, doux et chaud comme une caresse. Puis elle s’installa à l’ordinateur pour envoyer un mail à sa patronne.

    "J’ai besoin de quelques jours de congés. Désolée de te mettre devant le fait accompli mais je ne peux faire autrement. Je serai de retour d’ici une semaine."

    Krystal éteignit son portable et débrancha son téléphone fixe.

     

    Elle alluma une bougie dans le salon, puis celle de sa chambre. Leurs petites flammes chancelantes donnaient une ambiance irréelle et des ombres fantomatiques flottaient de ci de là, ricochaient sur les objets avant de s’évanouir. Elle se mit le CD des primes en musique de fond, laissant le son assez bas. Puis elle chercha sur différents sites les plus belles photos de son ange adoré et les imprima. Enfin elle jugea qu’elle en avait suffisamment et les découpa soigneusement aux ciseaux.

     

     

     

    Christophe s’étalait en long en large et en travers sur les murs du salon. Son visage punaisé partout et dans toutes les dimensions, souriant, chantant, charmeur, plus sérieux ou carrément déjanté comme celle où il est barbouillé de chocolat.

     

    Krystal rase les murs et touche les visages de papier du bout des doigts ; les lueurs de la bougie donnent presque vie à leurs regards. Elle erre dans l’appartement à la recherche d’un espoir d’avenir. Mais quel avenir sans Christophe... ? Elle voudrait n’avoir jamais croisé sa route, elle voudrait ne pas avoir besoin de lui.

    C’était tellement mieux avant, quand elle ne savait pas aimer. C’est intolérable ce déchirement, elle voudrait ne plus penser, elle voudrait dormir... Oui, c’est ça dormir, juste dormir pour l’oublier. Oublier tout.

    Elle se rappelle qu’il lui reste des petits bâtonnets roses quelque part. Elle ouvre quelques tiroirs, puis sa vieille trousse du maquillage qu’elle utilise le moins où elle retrouve le tube à peine entamé.

    Juste un.  Non... deux qu’elle avale comme ça sans eau. Puis elle souffle les bougies et va se terrer sous sa couette. S’étourdir et dormir.

     

     

     

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