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    La boîte "Ma baraque à Blanc-Mesnil"   Les archives inachevées - 4

     

    Je n’aime pas cette maison. J’ai peur à l’intérieur, j’ai peur à l’extérieur. Elle est sombre et humide, le papier peint moisit dans notre chambre et les fenêtres de derrière s’ouvrent sur un mur en fibrociment. Je vois des roses trémières dépasser du mur mais elles fleurissent chez les voisins. Entre les fenêtres et le mur c’est assez étroit et il y a des vieux pneus qui traînent et des trucs qui n’ont rien à faire là.

     

    Quand on est dans la rue, on rentre dans la cour de devant par un étroit portail ajouré fait de lattes en bois. La double barrière sert seulement pour les voitures. Ça sent bon les troènes quand ils fleurissent blancs. Quand on rentre, sur la gauche on trouve le jardin avec son bassin à poissons rouges, le gros cerisier et les bordures d’iris violets, les rosiers et les araignées. Celles-là ce sont les épeires, jaunâtres  portant une croix imprimée plus foncée sur le dos. Elles ne rentrent jamais dans la maison.

     

    Au coin extrême gauche de ce fichu jardin aux rosiers en vrac, il y a le TROU. C’est le trou des compteurs à eau, je ne sais pas ce que ça veut dire mais en tout cas je ne marche jamais sur la porte en planches bouffées par l’humidité qui le ferme. Ma grand-mère m’a toujours dit que je pourrai tomber dedans. Et dedans il y a les araignées. Je vois bien leurs toiles se déchirer quand le monsieur de l’eau vient y regarder avec sa lampe électrique. Celles-là sont sûrement noires puisqu’elles vivent dans l’ombre.

    Sur la rue, le jardin est clôturé par un grillage doublé d’une enfilade de troènes. Aux pieds des troènes poussent des capucines oranges, jaunes et rouges aux larges feuilles rondes et aux tiges rampantes. L’autre côté du jardin est séparé du jardin de mon petit voisin Michel par un grillage. Michel ne vient jamais chez moi, et je ne vais jamais chez lui. On joue sur le muret large de quinze cm sous l'espace du grillage. On doit s’en contenter. Son père porte des lunettes toute rondes et fume la pipe. Il a l’air sévère. Sa mère, je l’aperçois de temps en temps. Elle vient et disparaît comme un feu follet. Je n’ai pas souvent entendu le son de sa voix. Ou alors je ne me souviens pas.

     

    Quand on rentre dans la cour de ma maison, on fait une vingtaine de pas et on se retrouve devant le hangar qui couvre plus d’un tiers du côté droit. C’est le hangar aux voitures, pour les garer et les réparer. Il est très long, jusqu’au mur des voisins de derrière. La partie du fond étroit en couloir, c’est une sorte d’atelier avec un établi encombré d'un tas d’outils crasseux, c’est très sombre et le sol est recouvert d’une poussière pulvérulente très noire.

    Et on y trouve aussi des araignées. Bien grosses, bien noires avec de grandes pattes. Tellement de pattes que je ne sais jamais dans quel sens elle va courir quand j’en rencontre une qui s’est aventurée dans le hangar. Moi je ne vais jamais au fond de l’atelier.

     

    On peut sortir du hangar avant le début de l’atelier par une porte qui s’ouvre sur la gauche, juste devant le mur de la cuisinette. Je ne me rappelle pas si il y a un semblant de fenêtre, en tout cas ce mur extérieur est recouvert de ‘papier goudronné’. C’est moche, noir et ça pue quand il fait chaud.

    On rentre dans la maison directement dans la pièce principale de mes grands parents. A gauche de la porte d’entrée y’a une fenêtre. A droite le mur de la cuisinette. Sur ce mur est placé le compteur électrique. Je suis capable de rester debout sur une chaise pendant des temps infinis à regarder tourner ce que j’appelle le petit train et sa petite locomotive noire. En plus ça change souvent de vitesse.

     

    Au centre du mur de gauche s’ouvre la pièce de mes parents, triste et moche.

    Sur le mur du fond, face à l’entrée de la maison il y a la porte d’une chambre, plutôt sur la partie gauche.

    C’est la chambre de mon oncle André. La fenêtre de cette chambre donne aussi sur le mur en fibrociment gris. Il faut traverser cette chambre et passer la porte du mur de droite pour aller au cabinet.

    Je ne ferme jamais la porte du cabinet et la maintiens ouverte grâce à une grosse et lourde botte de mon oncle, qui traîne toujours sous une chaise. Parce qu’il y a toujours une araignée installée là-haut entre le mur et le réservoir de la chasse d’eau. Je ne veux pas m'enfermer avec elle, je veux pouvoir m'enfuir en cas de besoin. Alors je prends garde qu’elle ne me tombe pas sur la tête.

    Quand je suis assise sur le cabinet, je vois devant moi l’escalier bien raide qui monte à l’étage, où se trouve la chambre de mes grands parents, avec chacun son lit. C’est rarissime que je sois invitée à monter là-haut.

     

    A gauche des cabinets il y a la porte de la salle de bains, que mon père et mon oncle ont installée. Mon oncle André est en apprentissage de carreleur. Belle baignoire, beau carrelage bleu ciel. Mais comme cette pièce est très froide, on s’en sert comme remise frigorifique.

    Je crois que j’y ai pris trois bains, chez nous on se lave à la bassine dans la cuisinette. Et la cuisine est faite par ma mère et ma grand-mère sur le double réchaud à gaz dans la pièce principale de mes grands-parents. A côté de la grosse cuisinière où chauffe à perpétuité une casserole d’eau.

    Mes parents et moi on vit dans une pièce ‘à tout faire’ et une chambre.

    Je dors dans un petit lit au bois peint couleur ivoire, aux beaux draps brodés par ma mère. Leur lit est collé contre un cosy à droite dans la chambre. Dans le coin du fond à gauche, il y a le poêle à mazout.

    La pièce où on vit est meublée d’un buffet, d’une table avec ses chaises. Contre le mur de devant qui donne sur le jardin, dans son coin droit, il y a une sorte de commode où on installe le sapin quand c’est Noël, la fenêtre se trouve au centre, et à sa gauche se cache un coin toilette pour mes parents le soir. Ce coin est invisible quand la porte qui donne chez mes grands-parents est ouverte.

     

    Je n’aime pas cette maison car je ne m’y sens pas en sécurité. C’est la maison aux araignées, le hangar aux araignées et le jardin aux araignées. Même ce mot m’est difficile à entendre, à dire et à écrire.

     

         


     

     

     


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    Voici la boîte de la peur incontrôlable. Rien qu’à la regarder, la sueur perle à mon front, coule le long de mon dos. L’ouvrir c’est plonger dans une angoisse de mort.

    A Aubervilliers. C’est l’année de mes quatorze me semble-t-il. Ça se produit parfois quand je me couche. Je m’allonge, j’éteins la lumière et ça commence. Je n’ai pas l’impression de penser à quelque chose de particulier, alors ça vient d’où ce truc qui m’engloutit ?
    D’abord ça me pique autour de la tête, comme si je portais une couronne d’épines. Une chaleur de fièvre m’envahit et j’ai peur. Mon cœur commence à battre de plus en plus fort et de plus en plus vite… J’ai peur, j’ai peur, de cette peur qui m’étrangle et me crucifie à chaque fois. Quand elle a fini de me dévaster, elle se retire doucement après l’explosion en me soufflant « à bientôt ».
    Et elle revient de temps à autres me foudroyer sur place.

    Un soir je me suis levée pour demander de l’aide à ma mère. Je lui ai dit que j’avais peur. Bien sûr elle a voulu savoir de quoi et je n’ai pas été capable de lui répondre. Peur de QUOI ? Je n’en sais rien et je voudrai bien mettre un nom sur ce monstre irrationnel qui vient me vampiriser.

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    La chambre ne lui suffisant plus, il m’a traquée jusque dehors.
    Toujours adolescente. Je marche dans la rue mais il y a quelque chose qui ne va pas. C’est pire que dans une arène. Je marche la tête baissée, car je vois une personne qui arrive vers moi.
    Ah non… là je crois que ça ne va pas être possible…
    La croiser s’annonce être un véritable supplice. Je ne connais pas cette personne, je sais qu’elle ne va rien me faire mais je ne PEUX PAS la croiser. A ce moment là c’est l’enfer qui m’avale. La seule solution est de me mettre le nez dans la vitrine, pour qu’elle ne me voit pas.
    Ça m’est arrivé souvent pendant mon adolescence. Je n’avais que deux choix : le nez dans la vitrine, ou traverser la rue pour éviter que nos chemins se croisent. Et j’étais sûre dans ces moments là que je devenais folle.

    Je pense avoir atteint par moments les lisières de l’agoraphobie.
    C’est la déduction que j’ai faite plus tard car à l’époque je m’étais bien gardée d’en parler à qui que ce soit, et n’avais donc pas d’explication à cet étrange état.

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    C’est la nuit, et je me réveille. C’est bizarre quand même… il fait tout noir, les volets ne laissent passer aucune lumière contrairement à d’habitude.
    Je n’y vois rien dans cette chambre à l’obscurité dense. Cela n’est pas normal, mes yeux sont grand ouverts mais je ne vois plus. C’est ça, je ne vois plus, je suis devenue aveugle pendant la nuit. J’ai peur, mon cœur s’accélère et j’étouffe… Je manque d’air, je ne peux plus respirer… Je me tiens raide comme un piquet, c’est comme si je ne pouvais plus bouger, cette chambre me semble oppressante, rétrécie, réduite aux dimensions d’un cercueil… Oui c’est ça… je suis dans un cercueil ! On m’a cru morte et me voilà enfermée, enterrée même… Oh mon dieu ça n’est pas possible… comment je vais faire.. !?? Je vais mourir étouffée là-dedans ! Au secours…!!!
    Je suffoque et parviens à lever un peu mes bras, mes mains cherchent à tâtons autour de moi… Il n’y a rien d’autre que ce noir épais… Ah… je peux enfin vraiment bouger… ma main trouve sur la droite l’interrupteur de la lampe de chevet. J’allume. La lumière emplit la pièce et enfin je vois, je vis.

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    Voilà une autre casserole que j’ai traînée pendant des années, surtout dans le métro quand on est collés les uns aux autres et qu’on se jette des regards en biais.
    Je ne m’asseyais pratiquement jamais, pour ne pas me sentir coincée là à ne pouvoir bouger, face à face avec les autres, pour fuir au cas où. Mais fuir quoi ?

    Les REGARDS. Surtout que l’on ne me regarde pas.

    Je suis debout dans une rame de métro, et c’est déjà la limite du supportable. Les gens qui sont plantés là ou bien assis par quatre s’occupent en regardant les autres. En ME regardant. Et qu’un regard s’attarde un peu sur moi, alors l’angoisse monte de mon ventre à ma tête, diffusant sa brûlure partout dans mon corps et mon esprit. Je deviens incapable de raisonner. Ma tête devient brasier. Alors à cet instant c’est comme si un gyrophare tournait au-dessus de moi pour me dénoncer. « Regardez ! elle est là ! »
    Et je voudrais disparaître, m’évaporer… Qu’est-ce que je fais là ? je ne devrais pas être là. Oui c’est ça, je n’ai rien à faire ici et je me sens coupable . Coupable d’être là, coupable d’EXISTER.

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