•  

    Il voit enfin Krystal quand il entre dans le dernier salon et attend avant d’aller vers elle. Il s’est arrêté et la regarde. Il n’est pas très loin d’elle et se dit que décidemment il la trouve très à son goût. Elle est prise par le rythme et semble ne rien voir, le regard tourné vers d’autres rivages et le visage baigné de mélancolie. Elle bouge comme une liane et ses mouvements semblent une promesse de feu pour des moments autrement plus sensuels. Captivé il a envie de ses mains sur ses épaules nues, de ses lèvres dans son cou. Il la regarde et le désir de se sentir tout contre elle devient violent.

    Le sentant approcher Krystal émerge de sa rêverie. Le visage grave de Christophe se penche vers le sien et son regard chaud suscite en elle un émoi plus qu’envahissant. Il danse près d’elle et par moments leurs deux corps se frôlent… Krystal sent sa gorge qui se noue de plus en plus et elle se débat dans mille pensées contradictoires. Fuir ou rester, s’abandonner ou jouer la rebelle, repousser ses mains qui s’avancent vers ses épaules ou les laisser investir sa peau. Ses mains qu’elle aime… ses grandes mains fines qui dansent quand il parle, ses longs doigts de pianiste qui glissent à présent le long de ses bras, doucement, par petites touches légères, comme s’il tentait un instant de dompter un instrument inconnu.. Il se promène ainsi jusqu’à la courbure de ses épaules. Vaincue, elle le laisse lui arracher ses dernières défenses et prendre possession de son trouble.

    Il cueille alors son visage dans ses deux mains en coupe et dépose un baiser sur sa joue, puis un autre et un autre encore… Sa bouche en cœur butine de ci de là, puis se pose enfin sur ses lèvres douces en un long baiser gourmand. Tout s’estompe autour d’eux, la musique s’assourdit et ils restent plantés là à se goûter l’un l’autre, à se mettre le feu, sans plus se préoccuper des autres qui dansent autour d’eux ou de ceux qui les observent en souriant, amusés ou attendris.

    Ils refont enfin surface et se détachent doucement l’un de l’autre comme à regret ; ils se tiennent par les yeux encore de longues secondes, puis il saisit sa main et l’entraîne vers le salon des musiciens.

    Déjà Manu est à la batterie, accompagné à la guitare par un grand type chauve. De nombreux invités se sont attroupés devant eux. ; Krystal et Christophe se faufilent entre eux pour s’avancer au plus près. Le temps s’égrène sur un rythme de jazz et la nuit  raccourcit.

     

    - Je n’aime pas cette musique, c’est lassant chuchote Krystal

    Christophe l’interroge du regard

    - ça manque de mélodie

     

    Soudain Marianne investit les lieux et demande aux deux musiciens autre chose pour chanter. Ils s’exécutent et sa voix éclate, généreuse et emplit tout l’espace. C’est une Marianne imposante, lumineuse qui prend le pouvoir et les gens frappent dans leurs mains. Puis la voilà qui interpelle Christophe d’un signe de la tête en lui montrant le clavier. Hésitant il se fait un peu prier et s’installe devant l’instrument pour l’accompagner. Il se laisse prendre au jeu et Krystal se rend compte qu’il semble vraiment heureux. Il la regarde pas instants et ses yeux brillent d’enthousiasme.

     

    Manu et l’homme chauve se sont arrêtés. Marianne lance à Christophe :

    - A toi maintenant... allez, chante nous quelque chose…

     

    Il serre ses lèvres en un signe de réflexion et entame un vieil air de blues qui tangue. Quelques mesures s’étirent et sa voix claire s’élève. On peut reconnaître le fameux ‘I’v been loving you’ d’Otis Redding. Marianne ouvre des yeux comme des soucoupes, l’assemblée est médusée devant cette nouvelle preuve de génie. Il chante à sa façon, comme à son habitude, et c’est un pur délice. L’assistance est sous le charme, sous son charme. Il chante, suspend son clavier de temps à autres pour mieux en reprendre possession.

    Il chante et regarde Krystal intensément et elle sent son coeur minéral se fissurer peu à peu. Ce qu’elle éprouve à  cet instant n’a rien à voir avec un émoi charnel, c’est une vague d’une douceur infinie qui déferle en elle, la déroute et fait perler ses larmes.

     

    ‘Christophe, que m’as-tu fait...’ s’interroge-t-elle.

     

    Sa voix s’éteint doucement et c’est une ovation. Tout gêné il se recroqueville comme à la fin des primes en remerciant. La sangsue blonde se jette sur lui comme une détraquée, lui saute au cou, l’embrasse, s’esclaffe qu’il est merveilleux, extraordinaire et prend l’assemblée à témoin. Chacun le félicite et en rajoute encore et encore. Il sourit à chacun, se penche vers celle-ci, explique à celui-là.

    - Il ne me regarde même plus... Voilà le revers de la médaille... reviens donc sur terre ! s’étrangle Krystal, terrassée d’amertume. Une douleur lui transperce l’estomac et elle est obligée de s’asseoir sur un des fauteuils rouges.

    - Je vais partir, cela vaut mieux, je suis en train de faire une connerie....

     

    Elle se lève et va dans le second salon à la recherche de ses affaires. Elle retrouve son sac, son boléro qu’elle enfile et son étole qu’elle plie sur son bras. Elle se hâte car elle veut quitter les lieux au plus vite. Elle s’apprête à monter les marches quand un bras surgissant de derrière s’interpose.

     

    - Où tu vas .... !??? lui lance Christophe d’un air effaré

    - Je rentre, c’est mieux

    Il tente de l’attirer vers lui pour l’embrasser mais elle pose un doigt sur ses lèvres et lui murmure :

    - Y’a trop de gens qui t’aiment, c’est invivable... Et elle se précipite dans l’escalier

    - Attends... t’en vas pas comme ça... lui crie Christophe interloqué.

    Le temps qu’il se décide à la suivre la porte s’était déjà refermé sur elle et les poignées de secondes qu’il avait perdues lui suffirent pour voir sa voiture sortir en trombe du parking du club. Il l’appela à plusieurs reprises jusqu’au petit matin mais fut accueilli à chaque fois par cette maudite messagerie. Résigné il abandonna en se disant qu’ils y verraient plus clair après quelques heures de sommeil.

     

     

     

     


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  • Samedi 28 octobre 06 – 13h25

     

    Dévastée de fatigue Krystal avait dû prévenir sa patronne qu’elle ne viendrait pas travailler. Après son coup de fil elle s’était recouchée, replongeant dans un sommeil hanté d’ombres entourant un Christophe triomphant et lumineux. Elle voulait s’approcher mais n’y parvenait pas, sans cesse repoussée par des fans exaltés dont la foule grossissait à vue d’œil, jusqu’à l’engloutir complètement et l’arracher à sa vue. Elle rêvait toujours beaucoup, et elle se réveilla la tête comme une ‘pastèque’.

    Elle écouta les messages de Christophe et après quelques hésitations, les enregistra. Elle repensait sans cesse à cette nuit passée, et en se traitant de pauvre idiote revivait les instants précieux où elle s’était laissée séduire. Elle ne le rappellerait pas, comme il lui demandait avec insistance sur ses messages.

     

     

     

    17h10 – En direction de la banlieue est sur l’autoroute, Krystal roule un peu trop vite et semble très déterminée. Elle entre dans Chelles, continue sur l’avenue principale, prend une autre avenue sur sa gauche, puis tourne à droite, contourne un minuscule rond-point et s’engage dans une autre rue. Elle semble connaître les lieux par cœur et finit par se garer devant un jardin clos d’une haute grille à la peinture à moitié rouillée et écaillée. Un modeste pavillon au fond du terrain semble endormi.

    Elle pose son doigt sur la sonnette encastrée  près de la boîte aux lettres. Une fois, deux fois… elle attend. Un des rideaux bouge là-bas sur la fenêtre et la tête d’un homme apparaît. Puis le rideau retombe. Krystal frémit et regarde fixement la porte d’entrée et attend. Elle re-sonne, attend encore…. En vain. Elle pose ses mains sur deux des barreaux de la grille puis les serre entre ses doigts. Elle serre, serre de plus en plus jusqu’à en avoir mal puis secoue la grille, de plus en plus violemment…

    - Me pardonneras-tu donc jamais… murmure-t-elle en posant son front sur l’une de ses mains. Puis elle est secouée de violents sanglots.

    Toute à son désespoir, elle desserre son étau des barreaux et se laisse presque tomber à genoux sur le trottoir devant la grille.

      

    20h20 – Elle tremble un peu mais ce n’est pas de froid. Depuis qu’elle est rentrée elle s’est assise et n’a pas bougé du fauteuil en osier. Une bouteille de vodka est ouverte sur la table, elle vient de se servir son quatrième verre. Sa souffrance est si intense qu’elle n’a rien trouvé d’autre que l’alcool pour l’anesthésier. Elle se lève et se met à marcher dans le salon comme ça, sans but, et elle passe près des meubles, les touche, comme pour s’assurer de la consistance de sa vie. Des souvenirs naissent dans sa tête lourde et un pan de son enfance se déroule devant ses yeux.

    Elle a environ six ans. Elle est assise à la table d’une salle  à manger et finit de colorier un dessin qu’elle a fait pour son père. Celui-ci est assis de l’autre côté et construit une maquette de bateau avec Bruno. Bruno c’est son frère de quatre ans son aîné. De temps à autres elle les observe et les voit se sourire et se jeter des regards complices. Le père explique beaucoup de choses à Bruno, il s’occupe bien de lui et il semble en être fier.

    C’est bien d’être un garçon pense la petite fille. Les pères parlent à leurs garçons et font des tas de trucs avec eux. Les filles ça reste dans un coin à jouer à la poupée, ou même à rien. Heureusement qu’il y a Pepsy le chien, lui il ne fait pas la différence et Krystal peut lui raconter ses tracas ou chahuter avec lui. Des fois elle l’embête bien un peu et le corrige mais elle ne peut pas s’en empêcher. D’ailleurs il lui pardonne toujours.

    Elle a terminé son dessin ; c’est une jolie maison fleurie et devant elle a mis un bonhomme papa qui tient la main d’une petite fille. Elle a même ajouté tout en haut un gros soleil jaune hérissé de ses rayons. Elle descend de sa chaise, s’approche de son père et pose la feuille près du bateau.

    -C’est pour toi papa...

    Il jette un bref coup d’œil  sur le coloriage, le pousse sur le côté et répond :

    - Je suis occupé

    Bruno lui lance par la même occasion un regard glacial.

    La petite fille reprend le cadeau ignoré et s’en va trouver sa grand-mère qui épluche des haricots verts dans la cuisine à côté. Elle pose sa tête sur son bras et lui dit :

    - Grand-mère Rosy...  je crois bien que mon papa ne m’aime pas beaucoup

    - Ah… ma pauvre petite, c’est pas facile tu sais...

     

    Elle le sait depuis toujours que c’est pas facile, d’ailleurs son père ne lui parle presque jamais et la regarde à peine. Mais elle finira par s’y habituer c’est sûr.

     

    Krystal sent l’angoisse monter et elle respire par saccades. Elle tourne en rond chez elle, un peu comme le chien qui va mourir... Elle a beaucoup trop bu, ses jambes sont en coton et ses reins douloureux. Garder les yeux ouverts devient pénible car elle a l’impression que les murs gondolent et vont s’abattre sur elle. Elle suffoque, se sent de plus en plus mal et s’approche du fauteuil.

    A ce moment son portable se met à sonner sur la table basse et elle se penche pour l’attraper. Elle se redresse, prend la communication et porte l’appareil à son oreille. Mais un voile noir s’abat devant ses yeux et elle entend dans un bourdonnement la voix de son interlocuteur qui se fait de plus en plus lointaine.

    Elle vacille et s’écroule entre le fauteuil et la table du salon qu’elle heurte. La bouteille ouverte se renverse et commence à couler. Le portable tombé plus loin sur le parquet parle tout seul d’une voix affolée.

     

     

     

     


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  •  

    21h15 – "C‘est incompréhensible se dit Christophe, je laisse trente six messages et elle ne rappelle pas. Au moins je ne peux pas dire que j’ai affaire à une harceleuse ; mais elle est quand même un peu space...!"

    Il repense à la personnalité indéfinissable de Krystal, à ce baiser échangé et décide de ne pas abandonner comme ça.

    - Elle me plait vraiment trop pour que je laisse tomber... constate-t-il  tout haut

    ‘Il est encore tôt, je vais lui proposer de passer à la maison et on avisera.’

     

    Et il la rappelle une fois de plus. Par chance ça décroche au bout de deux sonneries. Il parle mais personne ne répond de l’autre côté. Il ne perçoit qu’une respiration irrégulière ; il appelle, insiste puis entend un bruit sourd suivi d’un second choc plus violent qui lui brutalise le tympan. Après deux secondes de stupeur il persiste et crie dans le téléphone mais celui-ci reste muet. Affolé, il garde son portable à l’oreille et tente de percevoir quelques sons venant de l’autre côté, sans résultat. Désemparé il finit par raccrocher et se maudit de n’avoir pas été plus curieux, et s’en veut de ne pas savoir plus de choses sur Krystal. Il ne connaît pas son adresse, ne peut donc rien tenter. Terriblement inquiet et incapable de rester seul chez lui plus longtemps il décide de terminer le week-end à Deuil-la-Barre.

     

     

     

    Dimanche 29 octobre 06 – 11h00

    Assis devant un mug de café il se frotte les yeux et passe les deux mains dans ses cheveux de chaque côté. Sa mère fait irruption dans la cuisine alors qu’il remet ses lunettes.

    - Tu vas mieux mon grand ? ça n’avait pas l’air d’aller très fort hier soir…

     

    Faut dire qu’il était arrivé le visage fermé et les traits fatigués, l’air extrêmement préoccupé. Contrairement à son habitude il ne s’était pas attardé pour raconter sa semaine, mais avait dit rapidement bonne nuit en prétextant :

    - Je suis crevé, à demain…

     

    Sa mère insista en lui posant la main sur l’épaule et il répondit :

    - Bof...!!

    - On peut t’aider ?

    - J’ai rencontré une fille… dit-il le nez dans sa tasse

    - Ah… bien… Et ça ne te rend pas plus heureux que ça ?? Elle ne veut pas de toi ??

     

    Semblant réfléchir il attendait avant de répondre.

    - A vrai dire je ne sais pas quoi penser ; c’est très particulier cette histoire…

     

    Et il se lança dans de longues explications avec force détails en s’aidant de ses mains, il se levait et se rasseyait sans arrêt. Il lui raconta tout jusqu’à son appel de la veille, puis se rassit une bonne fois pour toutes.

    - C’est juste pas possible… tu comprends que je sois inquiet ou pas… ?

    - Oui, c’est bizarre en effet. Essaye de la joindre cet après-midi pour avoir des nouvelles. Et ensuite pose toi… n’oublie pas que tu as un album en préparation, ça doit rester ta priorité, il te faut rester zen.

    - Oui, c’est ça… rester zen…

     

     

     

    Dimanche 29 octobre 06 – 14h20

     

    Krystal émerge lentement de sa torpeur de plomb… Elle ne se souvient de rien, pas même de s’être couchée. Une douleur à son bras achève de la réveiller. Elle se rend compte qu’elle a un bleu énorme au-dessus du coude. De son lit elle voit le salon car elle n’a pas fermé les portes coulissantes.

    Elle remarque la bouteille vide couchée sur la table basse. La flaque de vodka a coulé jusque sous la grande plante posée à même le sol. Son téléphone gît sur le parquet un peu plus loin. Quelques bribes de la soirée lui reviennent. Ses yeux se ferment car même allongée la tête lui tourne, et en plus elle a mal partout.

     

    ‘T’as l’air de quoi maintenant… c’est intelligent… Allez bouge-toi !!’ s’ordonne-t-elle sans complaisance.

     

    Elle sort de son lit avec précaution, pour ne pas s’affaler encore une fois. Son corps est douloureux. Elle va récupérer son téléphone au sol, victime du chaos. Elle a l’impression d’avoir mille ans tellement elle est mal. Elle se prépare un thé pour se réconforter mais une violente nausée l’oblige à se précipiter aux toilettes pour vomir. Du coup elle retourne dans sa chambre  et s’allonge sur le lit après avoir allumé son ordinateur.

    Elle ne tarde pas à se rendormir et c’est un signal de son portable qui la réveille deux heures après. Le SMS reçu dit :

    - Donne de t nouvel stp. Suis 1kié. CW

     

    C’est facile d'envoyer un texto ; juste quelques mots, c’est tout. Et puis là tout de suite elle se sent émue qu’il s’inquiète pour elle. Elle décide de lui répondre.

    - Un peu patraque. Je me repose. @+

     

    Elle enfile son vieux pull et s’installe à l’ordinateur pour visionner les séquences vidéo des primes. Elle prend au hasard de la souris et au fil des images elle sent l’émoi qui monte, puis revoilà encore une fois cette vague d’infinie tendresse qui la submerge jusqu’à la terrasser de bonheur. A cet instant là elle donnerait cher pour se blottir dans les bras de Christophe et pour son regard chaud et rassurant dans le sien. Les larmes inondent ses yeux et brusquement le poids de sa solitude l’accable. Mais en même temps la douce sensation est toujours présente, bien enchâssée dans son coeur ébréché.

    Et si c’était ça, l’amour ?

     

     

     


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