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    Les semaines se suivent et se ressemblent. Enfin non, pas vraiment.

    De plus en plus Krystal se débat dans un brouillamini de sentiments extrêmes et contradictoires. L’attachement qu’elle ressentait pour Christophe s’est transformé au fil des jours en une passion dévorante, une obsession lancinante, et l’angoisse de le perdre se fait de plus en plus envahissante dans son cerveau torturé.

    Ses journées de travail à la boutique lui pèsent et il lui arrive très souvent de ‘bâcler’ les clients.

     

     

     

    Christophe. Elle se le prononce pour elle toute seule ; trois petites notes, Chris-to-phe : d’abord ça glisse, puis ça s’accroche un instant avant de fondre sur les lèvres. Elle pense Christophe, elle respire Christophe, elle vit au rythme de son prénom à longueur de temps.

     

    Elle l’imagine à l’extérieur vaquer à ses occupations quotidiennes, rencontrer des gens, peaufiner son album, le parfaire encore et encore. Il est très occupé depuis une dizaine de jours et a espacé ses visites ces temps ci. Il lui téléphone, mais pas chaque jour.

     

    Krystal a peur ; il lui est devenu vital et là il lui manque atrocement. Elle a beaucoup d’imagination et se fait des films. Que fait-il en ce moment ?? Cette question elle se la pose cent fois par jour. Et si il n’était pas si occupé que ça ? Et si il avait simplement envie de prendre un peu de recul ? Elle ne lui a pourtant plus refait de scène, elle se montre douce, tendre et indulgente. Néanmoins sa jalousie est toujours là aux aguets, prête à bondir toutes griffes dehors à la moindre alerte. Dans une sorte de combat permanent, elle déploie des efforts surhumains pour la museler.

     

     

     

    C’est comme à ce concert donné le vendredi soir avant Noël, pour une association d’aide aux enfants défavorisés. Elle y repense bien trop souvent. Christophe était à l’affiche bien évidemment, en compagnie de nombreux artistes. Krystal avait pu se procurer un billet, qu’elle avait préféré acheter pour la bonne cause, une place très bien située, dans les dix premiers rangs face à la scène. Une présentatrice très en vogue animait la soirée, Stéphie Malfent et qui avait l’air de très bien connaître Christophe.

    Après qu’il eut chanté sa chanson fétiche dans une énième version, il la rejoint près du pupitre. Et la voilà qu’elle le bombarde de ‘mon Christophe’ par ci, ‘mon Christophe’ par là, lui caressant le bras et le dos sans cesse et lui faisant la conversation comme si effectivement il était ‘son’ Christophe.

    Krystal assistait à ‘ça’ et subissait l’inimaginable.

    Comment ? Tu es content qu’elle présente cette soirée parce que tu l’aimes beaucoup… ? Quoi ? il t’arrive de chanter pour elle toute seule dans les coulisses…. !??

    C’était tellement insupportable qu’elle se fit violence pour enfouir au plus profond d’elle même sa rancœur et réussit à prendre un peu de recul. Elle se coupa de ses sentiments et quelque chose en elle se brisa. Elle regarda la suite d’un œil morne et Christophe lui parut jusqu’à la fin de son intervention comme un étranger, un être inaccessible mais appartenant en même temps au public.

     

    Elle quitta le concert un peu avant la fin sans tenter d’aller du côté des coulisses pour voir ce qui s’y passait. C’était le premier jour de l’hiver.

    Christophe ne lui rendit pas visite après le concert. Quand il comprit qu’elle avait déjà filé il ne téléphona pas et décida de prolonger la nuit en compagnie d’autres artistes.   

     

     


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    Assez tôt le soir du réveillon elle l’avait appelé pour lui souhaiter une très belle nuit de Noël. Elle l’avait senti heureux de son appel, d’ailleurs il s’était isolé dans sa chambre pour lui parler tranquillement. Il s’était montré contrarié de la savoir seule en cette occasion, mais elle lui répondit qu’il ne devait pas s’en faire, qu’elle y était habituée. Elle laisserait la télé mais couperait le son et écouterait de la musique d’ambiance tout en écrivant. Elle avait prévu un cadeau pour Christophe, et avait choisi un pull dans les tons violet foncé avec des empiècements imitation peau sur le devant. Son téléphone fixe sonna une fois, sans suite. Sans doute une erreur. Ni son frère ni son père ne l’appelèrent.

     

     

    Ce soir elle s’en fiche, elle écrit des poèmes.

     

    Ceux-là dont les manteaux ont des plis de linceuls,

    Goûtent la volupté divine d'être seuls.

    Leur sagesse a pitié de l'ivresse des couples,

    De l'étreinte des mains, des pas aux rythmes souples.

    Ceux dont le front se cache en l'ombre des linceuls,

    Savent la volupté divine d'être seuls.

    Ils contemplent l'aurore et l'aspect de la vie

    Sans horreur, et plus d'un qui les plaint les envie.

    Ceux qui cherchent la paix du soir et des linceuls

    Connaissent la terrible ivresse d'être seuls.

    Ce sont les bien-aimés du soir et du mystère.

    Ils écoutent germer les roses sous la terre

    Et perçoivent l'écho des couleurs, le reflet

    Des sons... Leur atmosphère est d'un gris violet.

    Ils goûtent la saveur du vent et des ténèbres,

    Et leurs yeux sont plus beaux que des torches funèbres.

     

    Krystal gribouille dans la marge du cahier et réfléchit.

    La terrible ivresse d'être seule... Etait-ce vraiment une ivresse ? ou

    plutôt une détresse ?

     

    Elle n’avait pas vraiment choisi, on l’avait nourrie à la solitude. Dès son premier cri elle lui avait collé à la peau comme une deuxième ombre. A l’instant où elle posait son premier regard sur la vie, sa mère fermait les yeux à jamais. Elle ne connut pas l’amour d’une mère, elle ne connut pas les bras de son père autour d’elle, brisé par la fatalité et bien incapable d’assumer cette petite vie qui arrivait mais le privait de son épouse.

    L’infirmière lui amena le bébé en disant :

    - C’est une petite fille, elle a pu être sauvée… Quel prénom avez-vous choisi ?

    Son père, dévasté de chagrin, la regarda à peine et répondit :

    - ...appelez-la comme vous voudrez… ça m’est égal…

     

    Elle avait été confiée à une nourrice jusqu’à l’âge de quatre ans. Son père l’avait récupérée alors, et avait fait venir la grand-mère Rosy pour l’aider à s’occuper de ses deux enfants. Bruno vit arriver cette petite sœur avec méfiance. Il était persuadé qu’elle lui porterait malheur, d’ailleurs n’avait-elle pas fait mourir sa maman ?! Il l’évitait soigneusement et la tolérait tout juste, son père l’ignorait, seule la grand-mère se montrait un peu affectueuse de temps en temps. La solitude était son paysage et elle s’en protégeait derrière une muraille d’indifférence. Elle regardait depuis toujours le monde du haut de son détachement. Elle n’en était pas plus malheureuse que ça, sa vie intérieure très riche compensait jusqu’à présent le désert qui l’entourait.

     

    Mais sa rencontre avec Christophe avait changé la donne, elle avait mis un pied à l’extérieur de sa bulle et entrevu l’amour. Depuis elle en avait une soif intarissable, avide et impatiente de combler le manque de toutes ces années insipides… Elle désirait sa présence à chaque instant, il lui était devenu une obsession aigue, un tourment intense et cette emprise grandissait de jour en jour.

     

     

     

     


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    Christophe est avachi sur sa chaise, à la table de la salle à manger. Le réveillon n’en finit pas, et les invités prolongent le repas par des conversations interminables. Par instants il rit avec les autres, et il leur a même parlé un peu de Krystal. Depuis il pense à elle, l’imaginer seule ce soir le tracasse et il se rend compte qu’il n’a qu’une envie : quitter cette table, sauter dans sa voiture et aller la rejoindre. Et même si elle est habituée à l’isolement, son cœur à lui a du mal à l’accepter. C’est Noël quand même… Il mettra un moment à se décider.

     

    D’un coup il saisit son téléphone et l’appelle.

    - Réponds, se dit-il, réponds… 

    Il admet qu’il est super tard, déjà près de trois heures du matin, mais il espère. Son coeur se met à vibrer quand enfin il entend sa voix.

     

     

    Krystal, toujours devant son cahier, avait posé sa tête sur ses bras repliés sur la table. Les images muettes diffusées par la télé avaient fini par l’endormir.

     

    La sonnerie du portable la réveilla en sursaut. Elle fut surprise de reconnaître la voix de Christophe.

    - C’est moi... tu dormais...?! excuse-moi...

    - Non c’est rien... ça se passe bien ?

    - ....je peux venir... ?

     

    Quelques secondes de flottement.

    - ...si tu veux...

     

    Il quitta tout le monde sans traîner et ses parents se regardèrent d’un air entendu. Il mena sa voiture dans un train d’enfer et arriva chez Krystal le temps de le dire.

    Elle reconnu de suite le moteur de sa voiture quand il arriva. Il débarqua chez elle avec un paquet au papier bleu irisé et semblait déborder de tendresse en la serrant dans ses bras.

    - J’avais très envie de te voir… on ne s’est pas vu souvent ces derniers temps... Tiens, c’est pour toi…

     

    Chamboulée, elle posa le paquet sur la table et alla chercher celui destiné à Christophe.

    - Echange de bons procédés lui dit-elle avec un doux sourire.

     

    Ils rirent car chacun découvrit un pull. Krystal reçu un ravissant pull en laine velours noir, qu’elle passa immédiatement. Toute cette noirceur faisait ressortir son teint de porcelaine et l’abîme de ses yeux clairs. Christophe adora son cadeau, elle avait bien choisi la couleur. Bisou-bisou de remerciement.

    - …ça me fait très plaisir…

     

    Il regardait Krystal plantée devant le miroir de l’entrée qui vérifiait l’effet de ce pull sur elle. Il se frottait le menton du bout de ses longs doigts.

    - Mais dis moi ;  je repense à l’autre soir… tu es partie bien vite après le concert… !!!

    - Je n’ai pas voulu te déranger en si bonne compagnie répliqua-t-elle du tac au tac.

    - …attention, tu redeviens amère… je te préfère quand tu es douce… Douce-Amère la bien nommée murmura-t-il comme pour lui-même.

    - Désolée… tu as raison… je suis chiante… s’excusa-t-elle en revenant vers lui.

     

    Ils se tenaient debout près de la table, et le regard de Christophe après s’être attardé longuement dans celui de Krystal, tomba sur le cahier ouvert. Il lut le dernier poème.

    - J’aime beaucoup tes poèmes... je peux regarder... ?

    - Si tu veux... mais pas tout...

     

    Il feuilleta le cahier, flânant plus longuement sur certaines pages. Krystal en avait illustré quelques unes à l’encre de chine. Il tournait la tête vers elle dès qu’il avait lu une page. Ne voulant pas avoir l’air d’abuser, il referma enfin le cahier.

    - C’est beau… magnifique et ténébreux à la fois ; à ton image quoi… Qui es-tu réellement… ? Tu ne te dévoiles pas ou alors tu débordes, tu es l’ombre et la lumière en même temps, capable du meilleur comme du pire j’en suis sûr… Parles-moi de toi vraiment… permets-moi de te connaître mieux…

     

     

    Il lui tenait les mains et pressait ses doigts dans les siens ; il attendait d’elle qu’elle se livre enfin. Alors devant son insistance elle se mit à parler de ce qui avait fait sa vie jusqu’à présent et qui avait construit celle qu’elle était aujourd’hui. Elle y allait à petits pas, à mots confiés avec pudeur, et Christophe posait de temps à autres quelques questions pour mieux comprendre. Elle parla également de leur rencontre, lui avoua qu’elle n’avait pas craqué pour lui au premier instant, mais que cela s’était produit plus tard, à la Planque. Mais elle ne précisa pas qu’elle était tombée amoureuse comme on tombe gravement malade et qu’elle avait vu depuis s’écrouler ses remparts pierre par pierre, la laissant ainsi sans aucune défense.

     

    Installés dans le canapé, ils n'avaient jamais autant bavardé, épaule contre épaule et pieds mêlés. C'est main dans la main qu'ils s'endormirent au point du jour. Vers midi Christophe dû s'en aller à contre coeur car il avait un autre déjeuner en famille. Il était plus qu'en retard. 

     

     

     


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