• Petite fille perdue

    Samedi 28 octobre 06 – 13h25

     

    Dévastée de fatigue Krystal avait dû prévenir sa patronne qu’elle ne viendrait pas travailler. Après son coup de fil elle s’était recouchée, replongeant dans un sommeil hanté d’ombres entourant un Christophe triomphant et lumineux. Elle voulait s’approcher mais n’y parvenait pas, sans cesse repoussée par des fans exaltés dont la foule grossissait à vue d’œil, jusqu’à l’engloutir complètement et l’arracher à sa vue. Elle rêvait toujours beaucoup, et elle se réveilla la tête comme une ‘pastèque’.

    Elle écouta les messages de Christophe et après quelques hésitations, les enregistra. Elle repensait sans cesse à cette nuit passée, et en se traitant de pauvre idiote revivait les instants précieux où elle s’était laissée séduire. Elle ne le rappellerait pas, comme il lui demandait avec insistance sur ses messages.

     

     

     

    17h10 – En direction de la banlieue est sur l’autoroute, Krystal roule un peu trop vite et semble très déterminée. Elle entre dans Chelles, continue sur l’avenue principale, prend une autre avenue sur sa gauche, puis tourne à droite, contourne un minuscule rond-point et s’engage dans une autre rue. Elle semble connaître les lieux par cœur et finit par se garer devant un jardin clos d’une haute grille à la peinture à moitié rouillée et écaillée. Un modeste pavillon au fond du terrain semble endormi.

    Elle pose son doigt sur la sonnette encastrée  près de la boîte aux lettres. Une fois, deux fois… elle attend. Un des rideaux bouge là-bas sur la fenêtre et la tête d’un homme apparaît. Puis le rideau retombe. Krystal frémit et regarde fixement la porte d’entrée et attend. Elle re-sonne, attend encore…. En vain. Elle pose ses mains sur deux des barreaux de la grille puis les serre entre ses doigts. Elle serre, serre de plus en plus jusqu’à en avoir mal puis secoue la grille, de plus en plus violemment…

    - Me pardonneras-tu donc jamais… murmure-t-elle en posant son front sur l’une de ses mains. Puis elle est secouée de violents sanglots.

    Toute à son désespoir, elle desserre son étau des barreaux et se laisse presque tomber à genoux sur le trottoir devant la grille.

      

    20h20 – Elle tremble un peu mais ce n’est pas de froid. Depuis qu’elle est rentrée elle s’est assise et n’a pas bougé du fauteuil en osier. Une bouteille de vodka est ouverte sur la table, elle vient de se servir son quatrième verre. Sa souffrance est si intense qu’elle n’a rien trouvé d’autre que l’alcool pour l’anesthésier. Elle se lève et se met à marcher dans le salon comme ça, sans but, et elle passe près des meubles, les touche, comme pour s’assurer de la consistance de sa vie. Des souvenirs naissent dans sa tête lourde et un pan de son enfance se déroule devant ses yeux.

    Elle a environ six ans. Elle est assise à la table d’une salle  à manger et finit de colorier un dessin qu’elle a fait pour son père. Celui-ci est assis de l’autre côté et construit une maquette de bateau avec Bruno. Bruno c’est son frère de quatre ans son aîné. De temps à autres elle les observe et les voit se sourire et se jeter des regards complices. Le père explique beaucoup de choses à Bruno, il s’occupe bien de lui et il semble en être fier.

    C’est bien d’être un garçon pense la petite fille. Les pères parlent à leurs garçons et font des tas de trucs avec eux. Les filles ça reste dans un coin à jouer à la poupée, ou même à rien. Heureusement qu’il y a Pepsy le chien, lui il ne fait pas la différence et Krystal peut lui raconter ses tracas ou chahuter avec lui. Des fois elle l’embête bien un peu et le corrige mais elle ne peut pas s’en empêcher. D’ailleurs il lui pardonne toujours.

    Elle a terminé son dessin ; c’est une jolie maison fleurie et devant elle a mis un bonhomme papa qui tient la main d’une petite fille. Elle a même ajouté tout en haut un gros soleil jaune hérissé de ses rayons. Elle descend de sa chaise, s’approche de son père et pose la feuille près du bateau.

    -C’est pour toi papa...

    Il jette un bref coup d’œil  sur le coloriage, le pousse sur le côté et répond :

    - Je suis occupé

    Bruno lui lance par la même occasion un regard glacial.

    La petite fille reprend le cadeau ignoré et s’en va trouver sa grand-mère qui épluche des haricots verts dans la cuisine à côté. Elle pose sa tête sur son bras et lui dit :

    - Grand-mère Rosy...  je crois bien que mon papa ne m’aime pas beaucoup

    - Ah… ma pauvre petite, c’est pas facile tu sais...

     

    Elle le sait depuis toujours que c’est pas facile, d’ailleurs son père ne lui parle presque jamais et la regarde à peine. Mais elle finira par s’y habituer c’est sûr.

     

    Krystal sent l’angoisse monter et elle respire par saccades. Elle tourne en rond chez elle, un peu comme le chien qui va mourir... Elle a beaucoup trop bu, ses jambes sont en coton et ses reins douloureux. Garder les yeux ouverts devient pénible car elle a l’impression que les murs gondolent et vont s’abattre sur elle. Elle suffoque, se sent de plus en plus mal et s’approche du fauteuil.

    A ce moment son portable se met à sonner sur la table basse et elle se penche pour l’attraper. Elle se redresse, prend la communication et porte l’appareil à son oreille. Mais un voile noir s’abat devant ses yeux et elle entend dans un bourdonnement la voix de son interlocuteur qui se fait de plus en plus lointaine.

    Elle vacille et s’écroule entre le fauteuil et la table du salon qu’elle heurte. La bouteille ouverte se renverse et commence à couler. Le portable tombé plus loin sur le parquet parle tout seul d’une voix affolée.

     

     

     

     

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