• Naufrage

    Jeudi 18 janvier 07 – 12h20

    Christophe ne sait plus trop quoi penser. Krystal semble s’être évaporée. Pas de téléphone, pas de post sur le site. Le message privé qu’il lui a laissé mardi soir n’a même pas été ouvert. Plus de son, plus d’image. Il oscille entre agacement et inquiétude. Si elle a décidé finalement de ne plus le voir, qu’elle prenne son courage à deux mains pour lui dire en face au lieu de faire la morte comme ça. Peut-être… mais si il lui était arrivé quelque chose.. ?! On ne sait jamais… elle peut avoir pris sa voiture malgré la neige et….

     

    Il faut qu’il en ait le cœur net et il décide de chercher le numéro du magasin où elle travaille. Il va investiguer pendant son heure de déjeuner, il a le temps jusqu’à son rendez-vous de 14h00.

    Allez hop, les pages jaunes sur Internet. En trois minutes il obtient le renseignement et compose le numéro. Une douce voix de femme lui répond :

    - Nature et Bien-Etre bonjour…

    - Bonjour… pourrais-je parler à Krystal s’il vous plait ?

    - Ah… elle est en congés actuellement… elle revient samedi…

    - Bien… merci beaucoup, au revoir…

     

     

     

    Christophe a raccroché et semble dubitatif. Qu’est-ce que ça veut dire ? Elle est en vacances et ne le contacte pas ? Il ne comprend pas trop là et se sent même un peu froissé par cette attitude. Peiné aussi. Il a besoin de savoir et malgré l’heure qui tourne il choisit de se rendre chez elle.

     

    Les services de voirie des agglomérations ont déblayé les rues, salé ou sablé les avenues. Les employés ont travaillé sans relâche pour permettre à la vie de reprendre un cours presque normal. Cette vague de froid s’achève et le redoux est annoncé pour le week-end. Il fait déjà beaucoup moins froid, le mercure indique moins deux. 

     

    Jeudi - 13h30.

    Il arrive devant chez Krystal et remarque immédiatement les  trois persiennes tirées. Les grands volets du balcon sont clos également. Il passe lentement devant la façade du petit immeuble en levant la tête vers le 1er étage. Ainsi c'est donc c’est vrai, elle est absente, sans doute partie précipitamment pour se changer les idées. Lassée d’attendre elle a préféré le fuir et l’oublier probablement. Il juge inutile d’arrêter sa voiture pour aller sonner à la porte d’un appartement vide et repart comme il est venu. Il doit bien admettre que cette fugue est un aveu de rupture et qu’elle a déjà tourné la page. Leur page inachevée. Il devra se faire une raison et déchirer sa propre page. Il sait déjà que cela ne sera pas facile, surtout qu’il n’en a pas franchement envie.

     

    Krystal vient de mettre un pied sur la descente de lit. Elle parvient à se dresser complètement mais elle se sent emportée sur le côté et son front heurte le tranchant de la porte restée ouverte sur le couloir. De ses deux mains elle attrape les poignées de chaque côté et se retient désespéramment. Ne pouvant rester debout davantage elle se rassied sur son lit.

    Elle n’a pas entendu la voiture de Christophe arriver puis s’éloigner. Elle sombre lentement dans un abîme d’agonie ; ses forces sont de plus en plus faibles. Sa vie s’effiloche tandis que des souvenirs très anciens et d’autres plus récents émergent de temps à autres de sa brume.

    Christophe la nouvelle star qui chante, grand-mère Rosy qui lui tricote un gilet rouge, son amour qui la chasse de chez lui, Pepsy le chien qui bondit autour d’elle dans le jardin et lui rapporte le ballon, ce chanteur surdoué qui lui sourit. Comment s’appelle-t-il déjà ?... Son père jouant aux cartes avec Bruno dans la maison de son enfance. Son père qui ne la regarde presque jamais. Lui demander pardon et lui dire avant de partir qu’elle l’aime et qu’elle n’attend plus rien de personne.

     

    Son portable posé sur la table de nuit est à portée de sa main. Juste un dernier effort pour appeler son père.

    Sa main engourdie attrape le téléphone, soulève le clapet  et appuie sur la touche rouge. Il s’illumine et émet sa mélodie d’ouverture. Quatre chiffres à rentrer pour renouer un ultime lien avec l’extérieur.

    Quatre chiffres identiques. Voilà, c’est fait.

    Touche raccourci 4 et l’appel s’élance par delà les murs, par delà les villes, par delà la mort. Assise dans son lit contre son oreiller Krystal attend, les yeux fermés. Les secondes lui semblent des millénaires.

    - Oui j’écoute… 

    - …..

    Elle respire difficilement et les mots collent dans sa bouche.

    - Allo… Allo… !

    - ...Papa... je... t'aime... je te de... mande... pard...

    Elle n’a pas le temps de finir les mots choisis car ses derniers brins de conscience se sont rompus. Son portable lui échappe et glisse jusqu’au drap. La voix de son père appelle en vain.

     

    Dans son mausolée d’oubli Krystal s’abandonne au néant.

     

     

     

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