• Pour que l'amour me quitte...

    Dimanche 21 janvier 07 – 17h50 

    La porte de la chambre vient de se refermer et Krystal accompagne en pensée celui qui vient de sortir. Il n’est pas resté très longtemps près d’elle mais sa présence, aussi brève fut-elle, lui a fait l’effet d’un électrochoc bien plus efficace que n’importe quelle thérapie. Elle tourne sa tête sur l’oreiller vers la fenêtre et un pâle sourire se dessine sur sa figure amaigrie. Elle attend tranquillement son plateau repas, d’ailleurs des bruits métalliques se font déjà entendre dans le couloir de l’hôpital.

    Quand il est entré dans la chambre avec son air renfrogné habituel, Krystal plutôt abasourdie s’attendait à un flot de reproches. Mais au lieu de cela elle vit le visage de son père se décomposer et blêmir. Elle cru déceler dans ses yeux un éclat humide soudain.

     

    Il s’est approché du lit et l’a regardée pendant de longues secondes sans dire un mot. Les yeux dans ses yeux il s’autorisait enfin à la redécouvrir et tous deux semblaient instaurer une nouvelle alliance, balayant en silence tout un lourd passé de non-dits, de souffrance pesante et de sentiments réprimés.

     

    Il regardait ses traits méconnaissables, où les traces d’une détresse inimaginable s’attardaient encore. Ses yeux creusés étaient cernés de sombre, ses cheveux si denses auparavant avaient été coupés courts. Par endroits on pouvait presque voir la peau. Une petite entaille violacée barrait son front. Il prit sa main menue dans les siennes.

    - Ma fille… ma toute petite…

     

    Krystal ferma les yeux et deux larmes roulèrent de chaque côté jusqu’à ses tempes.

    ‘Enfin mon père… tu me regardes… et tu me dis que j’existe…’ pensa-t-elle.

    Un bonheur nouveau germait dans ses ruines.

     

     Dimanche 21 janvier 07 – 19h15

     

    La vie recommençait à s’éveiller en elle. Quelques bouffées de torpeur remontaient de temps à autres et l’obligeaient à dormir, probablement les derniers restes de médicaments. Depuis ce matin l’infirmière l’avait libérée de la perfusion. Elle lui avait confirmé qu’elle allait partir en maison de convalescence dans les Pyrénées pendant vingt et un jours pour se refaire une santé. La prise en charge serait validée au plus tard le mardi suivant.

     

    Son père gèrerait son absence. Le vendredi il avait déjà changé la serrure de sa porte et lui avait apporté ses nouvelles clés. Il avait gardé un trousseau. Il avait rouvert les volets, et découvert sur les murs du salon toutes les photos d’un jeune homme qu’il ne connaissait pas. Il arracha les feuilles et les jeta, sauf une qu’il plia et glissa dans une de ses poches.

     

     

    Elle alluma la télévision perchée en face d’elle et se motivait pour aller à la salle de bains faire un brin de toilette.

    Zazie bavardait avec M. Drucker et parlait de son dernier invité qu’ils attendaient. Krystal regardait sans trop d’attention et se découvrit de son drap pour se lever. C’est à ce moment là qu’elle le vit entrer dans sa chambre, par écran interposé. Le public l’applaudit, manifestant un enthousiasme certain. Christophe était de plus en plus apprécié. Il était évident qu’il se préparait une carrière hors du commun.

     

    Quand il fut installé sur le canapé rouge, la caméra envoya un gros plan de son visage. Krystal saisit la télécommande pour éteindre mais fut incapable de le faire. Elle le regardait, son amour était là face à elle mais tellement inaccessible, amour interdit. Il souriait mais son regard presque fuyant trahissait une préoccupation évidente. Il souriait mais ses sourires étaient brefs et légers, et malgré toute la considération qu’on lui connaissait pour Zazie, il semblait plutôt avoir envie d’être ailleurs.

    Krystal ne pouvait plus détacher ses yeux de l’écran. Elle regarda jusqu’à son départ, et éteignit lorsque sa silhouette disparut, happée par les coulisses du plateau. Elle resta allongée, pensive.

    C’était ça qui l’attendait à partir de maintenant, elle savait qu’elle devrait se faire une raison. Il appartiendrait de plus en plus à son public. Elle devait s’interdire de l’aimer.

     

     

     

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