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    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 1
     
    Un hymne à la vie "rustico-mystique'
    orchestré par un jeune paysan pas comme les autres...
     
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    Lukas venait de se réveiller en sursaut. La lune pleine et brillante déversait par les carreaux sa clarté argentée dans la pièce où ses trois frères étaient couchés avec lui. La froideur de la nuit emplissait la chambre malgré le conduit encore tiède de la cheminée qui montait contre le mur, du plancher au plafond. Le petit Landry qui dormait à ses côtés avait repoussé dans son sommeil l édredon jusqu’à ses genoux. Lukas frissonna et ramena l’édredon sur eux. Les yeux écarquillés, il tendit l’oreille. Comme d’habitude, le père ronflait fort dans la chambre voisine. Par moments il semblait perdre le fil de son souffle, suffoquait puis marmonnait des propos incompréhensibles. Par delà les murs les hautes branches du noyer gesticulaient sous les attaques du vent brutal, et cognaient sur les ardoises du toit. Tout à coup Lukas se redressa. C‘était bien des hurlements qu’il venait d’entendre dans le lointain de la nuit. Les mêmes que la nuit d’avant, mais là ils semblaient s’être rapprochés. Encore une fois les hurlements déchirèrent la nuit froide. Il n’avait donc pas rêvé... c’était sûrement les loups qui s’appelaient du fond des grands bois, ces loups dont il avait souvent écouté les histoires contées par les hommes du village certains soirs de veillée. Personne n’en avait revu depuis plusieurs hivers, mais cette année ils étaient de retour. Lukas, entre appréhension et excitation, respira profondément. Demain soir il s’empêcherait de dormir et guetterait leurs appels. Il se glissa entièrement sous l’édredon, se tourna vers son petit frère, prit sa main dans la sienne et ferma les yeux. Les loups s’étaient tus.

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    Le lendemain.

    "Va me chercher du petit bois Lukas… il n’y en a plus pour demain matin et le père n’est pas encore rentré de chez l’Ernest… Dépêche-toi avant qu’il fasse nuit."

    Il sourit à sa mère et prit la hotte en osier qu’elle lui tendait. Ses trois frères finissaient de goûter autour de la lourde table de bois, il venait lui-même de terminer sa tartine au miel et son bol de lait. Oui, il ferait vite car dès que le soleil disparaissait derrière les grands bois, la noirceur tombait sur le village et engloutissait tout. Il fallait attendre que la lune monte pour deviner les alentours noyés dans l’obscurité. Il repensa aux loups qu’il avait entendus la veille ; c’est sûr qu’il ne traînerait pas mais il irait quand même là-bas… Il aurait bien emmené Finaud le chien pour l’accompagner mais il avait filé avec le père.

    Lukas monta vers le haut du village et se dirigea vers les bois Jandreau, dits aussi ‘les bois noirs’, par le grand chemin bordé de noisetiers et de pommiers encore dénudés en ce mois de mars. Il marcha un bon quart d’heure avant de s’engager sur un sentier à sa droite. A sa gauche les premiers grands arbres tordaient leurs branches vers le ciel, et en face s’étalaient les champs où broutaient quelques troupeaux de vaches. En contre bas plus loin des moutons se dépêchaient à l’appel du paysan venu les chercher pour rentrer à la bergerie. Au bord du chemin s’alignaient des rondins de bois bien rangés les uns sur les autres et formaient comme une barricade à la lisière de la forêt. Lukas contourna l’empilement car il savait que derrière se trouvaient amoncelés, à l’abri sous les arbres, les brindilles et les rameaux plus fins. Il en ramassa une brassée qu’il glissa dans son panier.

    Il s’apprêtait à regagner le sentier quand il entendit des craquements au-delà des buissons plus loin entre les châtaigniers. C’était comme des bruits de feuilles mortes écrasées sous des pas pressés. Une corneille solitaire s’envola soudain en craillant encore et encore. Lukas sentit son pouls s’accélérer mais il ne bougea pas. Les sens en éveil il attendit de longues secondes avant de se décider. Alors il posa son panier près des bûches empilées et s’enfonça vers le cœur des grands bois en se faufilant entre les ronces et les troncs froids et moussus.

    "Tu es fou… n’y va pas… n’y va pas…" lui murmurait une petite voix dans un coin de sa tête.

    Il ne savait pas pourquoi mais il devait y aller et le chant des loups entendus dans la nuit résonnait dans sa mémoire avec insistance. Il avançait prudemment mais bien décidé, le dos courbé et la tête rentrée dans les épaules, les yeux plissés pour y voir mieux dans le clair-obscur ambiant, un bras plié en avant à hauteur de visage pour se protéger des éraflures. A dix minutes de marche à peine se trouvaient la grande clairière du Diable et ses amas d’énormes roches posées là en vrac. Il s’y était déjà aventuré tout seul plusieurs fois, par beau temps et en plein jour, aux heures où les spectres de la nuit sont encore assoupis et où les promeneurs ne risquent aucune mésaventure. Mais jamais au grand jamais il n’avait osé grimper sur l’énorme pierre aux neuf marches qui surplombe la clairière du haut de son monticule.

    Il progressait lentement parmi les arbres en faisant craquer les branches mortes sous ses galoches. De temps à autres il percevait des glissements furtifs et des bruits indéfinissables autour de lui, comme s’il avait été suivi de loin par un chaperon invisible. Les chênes et les châtaigniers rencontrés s’espaçaient ; il s’arrêta et appuya son épaule contre un tronc humide.

    Il regarda loin devant lui entre les arbres : là-bas à quelques dizaines de mètres s’ouvrait la clairière du Diable, boursouflée par endroits et sur un côté par les énormes roches rondes. Il n’osa pas avancer plus avant et seBlog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 1promit d'y revenir un matin quant le printemps serait bien installé. C'est alorsqu'il entendit une sorte de plainte répétée, des glapissements qui montaient de derrière les pierres. Puis il remarqua une ombre se déplacer sur la monstrueuse roche aux neuf marches. Fasciné il ne pensait même pas à s’enfuir et observait la bête debout sur le bord de la pierre, et qui se découpait en ombre chinoise sur la lumière bleutée du sous-bois.

    Il réalisa soudain que son inconscience pouvait lui coûter la vie. Il avait entendu des horreurs sur des loups dévoreurs d’hommes, et pensa à sa mère qui devait se faire un sang d’encre là-bas au village. Il regarda une dernière fois l’animal qui semblait aux aguets au surplomb de la clairière, puis retira ses galoches pour être moins bruyant et tourna les talons. Il marchait en tapinois mais les feuilles crissaient sous ses pieds ; alors il se mit à courir aussi vite qu’il le put en priant le seigneur de protéger sa jeune vie qui ne faisait que commencer. Il entendit derrière lui des chocs sourds et des abois furieux, puis des grognements âpres suivis de gémissements plaintifs. Les cris lui firent penser à ceux de Finaud quand il recevait une correction du père.

    Il courait comme le lièvre fuyant devant un prédateur, les branches accrochaient ses cheveux, les ronces agrippaient ses vêtements et ses pieds meurtris devenaient de plus en plus douloureux dans ses chaussettes mouillées. Haletant il déboula sur le chemin, jeta au sol ses godillots qu’il enfila à la hâte, jeta la hotte sur son épaule et refit d’un pas pressé le trajet du retour vers la maison.

     
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  • Adèle, sa mère, l’accueillit avec un soupir de soulagement. Il rangea sa brassée de petits branchages dans une niche creusée dans le mur à gauche de la cheminée. Ses trois frères assis par terre devant les flammes s’amusaient à empiler des cailloux ramassés au bord de la rivière. Celui qui montait la pyramide la plus haute avait gagné.


    - Tu es parti plus d’une heure lui reprocha-t-elle, je me suis inquiétée… tu pouvais aller à la remise du Pierrot… il a dit qu’on pouvait se servir de temps en temps… Où donc es-tu allé ??
    - Au bout du grand chemin, près des bois noirs… répondit-il en regardant sa mère dans les yeux.


    Il savait qu’il risquait de se faire punir mais il n’eut pas envie de raconter de balivernes. D’ailleurs il ne mentait jamais. Ce qu’il n’avait pas envie de dire, et bien il le gardait pour lui, mais quand il parlait il disait vrai.

    Sa mère hocha la tête en fronçant les sourcils.
    - Ne retourne plus jamais là-bas… Certains disent que les loups reviennent s’installer aux roches… la Ninon les a entendus la nuit dernière… Si ton père apprend ça… !!
    - Mais tu ne lui en parleras pas, n’est-ce pas... ?
    - Non, pour cette fois je ne dirai rien


    Elle s’avança vers son fils aîné et l’entoura de ses bras. Les autres garçons s’approchèrent et se glissèrent entre leur mère et Lukas, pour profiter eux aussi de ce câlin. Ils éclatèrent de rire tous les cinq et les enfants reçurent une pluie de baisers sur le haut de leurs têtes.
    Puis Adèle les repoussa tendrement :
    - Allez les garçons... j’entends le père qui arrive ; je vais préparer la soupe...

    Bastien, Albin et le petit Landry montèrent dans la chambre pour y jouer en silence avant le souper. Ils savaient qu’ils devaient se tenir à carreaux quand le père revenait de chez l’Ernest. Ils aimaient bien boire la goutte ensemble. Un peu trop même et parfois ça dégénérait. Lukas resta avec sa mère pour l’aider à éplucher les légumes. Elle avait mal à ses doigts depuis quelques jours, ils étaient rouges, enflés et l’enfant l’assistait de son mieux. Demain il irait demander des herbes à la vieille Jeanne pour la soulager.

    ***********

    Ils étaient tous couchés depuis très longtemps mais Lukas, lui, ne dormait pas. Il avait déjà remarqué qu’il avait peine à trouver le sommeil certaines nuits de pleine lune. De plus le père ronflait comme le fourneau d’une forge et il se demandait comment sa mère pouvait supporter un tel boucan. Mais ce soir ça l’arrangeait bien, car il espérait entendre les loups de nouveau…
    Il se tenait droit comme un i sous l’édredon, ses mains jointes sur sa poitrine. Il entendait respirer ses petits frères endormis. Bastien et Albin dormaient dans un lit, Landry et lui occupaient l’autre lit. Une simple cloison de planches séparait la pièce du haut pour former deux chambres. Celle des parents donnait devant sur la voie caillouteuse qui traversait le village, celle des garçons avait vue sur le jardin potager et les champs.


    "S’il continue à ronfler comme ça je ne les entendrais pas" se dit Lukas qui commençait à s’impatienter.

    Alors il sortit du lit avec précaution, enfila ses pantalons de la veille et prit son gros gilet posé comme tous les soirs sur la chaise paillée qui faisait office de table de chevet. Il traversa la chambre sur la pointe des pieds, écarta les vieux draps qui pendaient de la grosse poutre et servaient de tentures entre la pièce et l’étroit palier. Léger comme un chat il descendit sans bruit l’escalier de bois. En bas, il chaussa ses galoches rangées près de la porte et mit dans sa poche le briquet à amadou. Il attrapa la grande cape du père pour s’y envelopper, fit glisser le verrou et s’éclipsa par le jardin à la belle étoile en direction des étables.Le chat du voisin qui se trouvait là en quête de mulots vint vers lui en ronronnant et se frotta à ses jambes. Lukas s’accroupit et flatta son dos rond.

    Il avait de la chance : la lune complice de son escapade luisait de tout son éclat. Un chien aboyait quelque part au bout du village. Il traversa la parcelle de champ voisine, longea les ruches endormies, contourna le tas de fumier et enfin souleva le loquet de l’étable. Il alluma le briquet d’un coup sec du pouce et tira le lourd battant pour entrer. Finaud qui dormait là toutes les nuits lui fit un accueil chaleureux en bondissant comme un fou autour de lui. De ce côté ci étaient stockés la paille et le fourrage, de l’autre se trouvaient l’étable et les six vaches. Les mangeoires s’alignaient au milieu, séparées les unes des autres par des poutres massives dressées du sol jusqu’au premier niveau fait de planches épaisses. L’espace entre ce plafond bas et le toit servait de grenier et de réserve à foin. Une vache avait passé sa tête par dessus sa mangeoire et regardait le garçon d’un oeil débonnaire. Il caressa d’un geste doux le mufle humide et se dirigea vers le fond de l’étable. Lukas vérifia l’équilibre de l’échelle dirigée vers le grenier et grimpa souplement. Il faisait bon là-haut ; il souffla la flamme du briquet et s’allongea dans le foin odorant en se couvrant de la large cape du père. Finaud déçu d’être abandonné gémissait au pied de l’échelle.


    Lukas patienta longtemps en vain. La campagne semblait profondément endormie… Seuls quelques aboiements parvenaient de temps à autres du bas du village. Lukas admit qu’il serait plus raisonnable de retourner se coucher ; il avait veillé deux longues heures pour rien. Il redescendit du grenier prudemment, quitta l’étable et Finaud. Il avait à peine dépassé la rangée de ruches qu’un appel retentit du cœur des bois Jandreau. Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 2

    Alors la clameur s’amplifia et le chant des loups monta dans le lointain. Ils semblaient plus nombreux que la nuit d’avant et leurs hurlements s’alliaient en une véritable symphonie. Lukas s’arrêta et ferma les yeux pour écouter ; il aimait ces arpèges mélancoliques qui s’étiraient avec lenteur en déchirant les ténèbres.


    "C’est comme le vent de l’hiver qui souffle ses plaintes dans les hautes branches des sapins, que c’est beau…." pensa-t-il.
    Il sentit une immense joie dans sa poitrine… Il rouvrit ses yeux, fixa la lune en arrondissant sa bouche. Puis il avança ses lèvres et murmura en soufflant :
    - Hooouuuuu……… Hoooouuuuuuuuu………

    Enfin il envoya un sourire au ciel et se hâta vers la maison silencieuse en remerciant la nuit pour ce merveilleux cadeau.


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  • C’était l’heure du casse-croûte de la matinée et les garçons mangeaient une tranche de pain avec un bout de fromage. Le père attablé avec eux finissait son verre de vin avant de retourner aux champs. Il sortit de la poche de son pantalon sa précieuse bourse de cuir et en extirpa une brisure de tabac à chiquer qu’il glissa avec son pouce contre sa gencive. Il observait Lukas assis en face de lui. Le garçon n’avait pas mangé la mie de son pain et il l’humidifiait avec un peu de lait caillé au fond d’un bol. Le père Gervais mâchonnait en tordant sa bouche ou gonflait sa joue tour à tour en émettant des bruits mouillés.


    Sa voix s’éleva enfin :
    - Tu n’iras plus à l’école après l’été dit-il à Lukas, J’ai besoin de toi à la ferme....


    Son fils aîné leva les yeux vers lui et le regarda avec stupeur :
    - Mais je vais bientôt passer le Certificat d’Etudes... Je veux continuer à apprendre pour devenir instituteur comme Monsieur Paul....
    - On est une famille de paysans.... Tu l’entends Adèle ??!! ton fils a la folie des grandeurs.... il veut faire le maître d’école... et pourquoi pas docteur aussi... ?!! Tu sais lire, écrire, compter... ça suffit bien... Tu deviens un homme et j’ai besoin de bras pour m’aider... C’est pas toi qui décides....

    Lukas ne dit rien mais n’en pensa pas moins. Il se leva du banc en fixant son père droit dans les yeux, lui montrant ainsi son désaccord.


    ‘Je serai instituteur et rien ne pourra m’en empêcher....’ se dit-il.

    Il prit la mie ramollie dans le creux de sa main et sortit par la porte de derrière. Adèle s’installa à la place qu’il avait laissée et se cassa quelques noix. De là elle voyait son fils dans le jardin ; il venait de s’asseoir sur la margelle du puits. Une poule égarée dans le potager passa près de lui, s’arrêta et regarda le garçon de son petit œil rond en penchant la tête de côté. Enfin elle se nicha dans l’herbe à ses pieds dans un rai du soleil montant. Lukas avait formé avec la mie une boule qu’il tenait du bout de ses doigts. Alors il leva le bras vers le ciel et attendit. Pas longtemps, juste une ou deux minutes.

    - D’où tu l’as sorti c’t’enfant là l’Adèle... !!!?? l’est pas comme les aut’... !!! s’exclama le père
    - Non Gervais, il n’est pas comme les autres... murmura sa femme, pensive.

    Ce n’était pas la première fois qu’elle le voyait faire ça. Tous regardaient Lukas assis sur le rebord du puits et les enfants ne disaient mot tellement ils étaient émerveillés.
    Un grand sourire illuminait le visage de Lukas. Il souriait aux oiseaux qui virevoltaient autour de sa main tendue vers eux. Les moineaux et leurs cousins se faisaient un festin de ce bon pain offert, certains audacieux s’enhardissaient et s’agrippaient à ses doigts pour mieux se servir. De temps à autres le garçon modulait sa voix en de légers pépiements rassurants.

    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 3

    Adèle admirait secrètement ce fils là. Non, il n’était pas comme les autres. Il était fort mais doux, il était fier mais tendre, toujours prêt à rendre service, réfléchi et habile de ses mains. Il était étonnant. Même physiquement il ne ressemblait pas à ses frères. Déjà grand pour un garçon de quinze ans, on lui en donnait facilement trois de plus. Il était svelte mais musclé, eux étaient plus trapus. Leurs cheveux étaient bruns et leurs yeux très sombres, tout comme leurs parents. Lui, sa chevelure mordorée s’embrasait de reflets cuivrés au soleil, et ses tempes plus claires étaient caramel. Ses yeux couleurs d’automne lui donnaient un regard chaud et pénétrant, presque gênant pour certaines personnes.


    Bastien, très étonné, questionna sa mère :
    - Il fait quoi Lukas maman… ? il parle aux oiseaux… ?!
    - Oui mon fils, il parle aux oiseaux…
    - Ohhh ! il a de la chance… s’exclama le petit garçon.

    Le père grommela quelques vagues mots, saisit sa besace garnie de son repas pour midi, enfonça son chapeau sur sa tête et sortit. Il avait assez perdu de temps ; il devait s’occuper de planter les choux et les pommes de terre.

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