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    Le lendemain, quand dans la matinée les forces de police se sont présentées à l’atelier pour arrêter Lukas, le père Justin a eu beau protester et crier au scandale, les trois hommes mandatés sont restés de marbre en se contentant de répéter :

    - Nous avons des ordres…

    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 55Le jeune homme n’a pas résisté, sachant que de toute façon ce serait peine perdue, et il s’est laissé emmené les mains attachées derrière le dos, traversant la tête haute la place de la fontaine, puisqu’il n’avait rien à se reprocher.

    Et pourtant… L’honorable médecin qui a examiné le matin même Mademoiselle Eléonore a constaté des marques de violence sur les bras de la jeune fille, ainsi que des traces ‘évidentes’ de tentatives de viol.

    Et depuis ce jour béni Théodore Metge voit son avenir s’éclaircir, puisque désormais plus personne n’est là pour lui faire de l’ombre.

    *******

    Ils ont jeté Lukas dans une cellule provisoire, en prévoyant un jugement mené tambours battants et sans appel. La famille Bertrandias s’est pourtant déplacée à plusieurs reprises afin de témoigner de la haute moralité du prévenu, sans succès. Le père Géraud a tenté de faire intervenir ses quelques relations, visiblement plus que frileuses à agir et insuffisantes en comparaison de celles des sieurs de Boisredon et Metge.

    Qui d’ailleurs aurait pris le risque d’accorder foi aux déclarations d’un vieux guérisseur et contrer les bourgeois argentés de la ville ?!!


    La semaine suivante Lukas fut emmené à Moulins et emprisonné dans le quartier des mineurs de la prison la Mal Coiffée. Quand Mademoiselle Eléonore apprit le transfert précipité du jeune homme, elle attrapa le bol à deux mains et le fracassa sur le sol avec rage.

    Au terme d’un procès bâclé il fut condamné à douze années de réclusion, avec interdiction de recevoir ou d’émettre de courrier. Cependant il avait été décidé et consigné dans les registres et documents que ses parents devaient être informés par un pli télégraphié. Rien ne fut fait.

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    Lukas dans sa geôle réfléchit à cette année si particulière qui s’est écoulée. Il se souvient des paroles de la vieille Jeanne et constate avec amertume combien elle avait raison. L’homme est un loup pour l’homme, et même pire puisque les loups  ne connaissent ni la perversité ni la bêtise.

    Il ferme les yeux. Les hurlements des loups résonnent dans ses souvenirs, puis s’effilochent, assourdis par le fracas des coups de fusils. Et la Maudite qu’il n’a plus revue depuis la région des hauts plateaux, qu’est-elle devenue ? A-t-elle été abattue elle aussi ou a-t-elle retrouvé la paix dans une nouvelle horde ?


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    Puis il se remémore chacun des merveilleux instants passés avec Thilde et de ce bel amour naissant…. Pourquoi n’a-t-elle plus écrit ? s’est elle lassée finalement de son éloignement ? Douze années d’isolement… à quoi bon espérer la retrouver telle qu’il l’a laissée, avec son amour intact après toutes ces années perdues. Les serments échangés peuvent-ils être aussi intemporels que des cœurs gravés dans l’écorce d’un arbre ??

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    Non... il ne doit pas renoncer… jamais ! Même si l’attente est longue, même si tous les espoirs semblent vains. Attendre, c’est tout ce qu’il lui reste à faire…

    Et il voudrait secouer le temps, le bousculer pour qu’il passe plus vite… il sent l’exaspération monter du creux de son ventre, il sent ses yeux qui se mouillent et il s’écroule à genoux sur sa paillasse en se touchant les joues… non il ne pleure pas, il tient seulement son visage à deux mains pour réchauffer sa solitude, deux mains le protégeant, deux mains empêchant son âme de le laisser en colère.

     


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    A la fin du mois de février, Thilde reçu une lettre. Mais à son grand désarroi elle ne put que constater que c’était sa propre lettre qui revenait, le destinataire n’habitant plus à l’adresse mentionnée. Elle pleura ce jour là toutes les larmes de son corps, maudissant le sort qui s’acharnait à vouloir l’éloigner toujours plus de Lukas, toujours ignorant qu’il sera bientôt père.

    Louis le maigre ne disait plus rien mais n’en pensait pas moins… Si sa fille l’avait écouté… la famille ne serait pas obligée d’accueillir un bâtard ! Sa mère quant à elle faisait son possible pour la réconforter, mais elle commençait à douter sérieusement de l’avenir.

    Chez l’Adèle non plus on n’avait pas de nouvelles.

     

    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 56

     

    Une nuit de mars le village des Forges connut un beau remue-ménage.

    Clothilde, la fille de Louis le maigre s’apprêtait à mettre son enfant au monde, avec près d’un mois d’avance. Quelques femmes expérimentées furent sollicitées pour apporter leur aide et à l’aube la Vie poussa un premier cri au moment où le soleil déchirait les lambeaux de brume sur les champs. Quelques minutes plus tard, un deuxième cri retentit dans la chambre de Thilde, épuisée mais heureuse, serrant la main de sa mère en pleurs. Lucie et Luca étaient nés, tout petits mais en parfaite santé. Le bonheur en double exemplaire.

    Louis le maigre ne sut rien dire d’autre que :

    "Pauvres de nous…" en levant les bras au ciel.

     

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    Quand enfin Thilde  serra ses petits contre elle à l’abri dans ses bras, elle pensa à Lukas et murmura à l’oreille de ses enfants des mots secrets que sa mère ne put entendre. Elle crut cependant déceler l’esquisse d’un sourire sur le visage de l’un d’eux. Lucie ou Luca ? elle n’aurait pas su le dire…

     

     

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    Quelques semaines après la naissance de ses deux petits-enfants le père Gervais mourut dans d’effroyables souffrances, emporté par cette sale maladie qui rongeait ses poumons et sa bouche devenue une plaie béante. Depuis le départ de Lukas, il n’avait plus jamais prononcé son prénom, ni manifesté le moindre remord. Il n’exprima pas non plus le désir de voir les jumeaux.

     

    L’Adèle retrouva la parole et le goût à la vie. Elle raconta à ses trois fils la véritable histoire de Lukas, le don qu’il avait et son secret concernant les animaux, en particulier avec les loups, et pourquoi il avait été chassé du village par le père. Elle continua à leur parler de lui afin qu’ils ne l’oublient jamais.

    Elle était sûre qu’un jour il reviendrait, alors ils y croyaient aussi et l’attendaient.

    Elle engagea un jeune paysan d’un village voisin afin de l’aider dans les travaux de la ferme, dernier fils d’une famille nombreuse qui disposait de suffisamment de bras pour pouvoir louer les siens.

    Thilde lui rendait visite le plus souvent possible, et Adèle montait plusieurs fois par semaine voir Lucie et Luca. Elle assista à leurs premiers pas près du puits un soir de printemps et versa une larme le jour où elle entendit Luca prononcer le mot ‘papa’.

    Pas un jour ne s’écoulait sans que Clothilde ne leur parle de leur père, car dans le secret de son cœur, elle espérait toujours son retour et priait chaque soir pour qu’il revienne.

     

     

     

     

    Un soir de veillée chez le Raoul, les villageois constatèrent qu’ils n’avaient pas revu la vieille Jeanne depuis des semaines, qu’elle avait en quelque sorte disparut du paysage. Certains d’entre eux se rendirent aux bois des Groppes pour en avoir le cœur net, mais trouvèrent la porte close derrière des herbes de presque la hauteur d’un homme.

    S’ils avaient pu questionner les oiseaux, ceux-ci leur auraient raconté qu’un beau matin la Jeanne avait fermé sa maison à double tour, caché la clé sous une pierre de la première marche effondrée avant de se diriger vers les anciennes mines d’or, afin d’y cueillir le repos éternel, parce qu’elle avait décidé elle même que c’était le jour et l’heure.

     

     

    Et le temps se déroula, patient, apportant à chaque jour ses petits cadeaux ou son lot d’épreuves, mêlant les heures de chagrin et de grande joie, alternant les instants de doute et les moments d’espoir.

    Des jours toujours renouvelés, ces jours qui s’écoulent et s’évanouissent un à un dans le sablier de la vie.

     

     

     

     

     


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    Des jours toujours renouvelés, des jours qui s’écoulent et s’amoncèlent un à un dans le sablier de la vie et qui un beau matin se comptent en années. 



     Cinq ans plus tard.

    La lourde porte vient de se refermer sur l’épais mur de la tour. Lukas se retrouve dans la ruelle de la Mal Coiffée et respire à pleins poumons l’air frais du matin.

    Une heure à peine auparavant quand le verrou de sa cellule a grincé, il s’attendait à recevoir sa ration habituelle de pain et sa maigre pitance mais au lieu de cela il a entendu le garde lui dire :

    - Eh toi… ramasse tes affaires et suis moi... tu sors aujourd’hui....


    Malgré sa surprise il ne s’est pas fait prier et après de brèves formalités de sortie il s’est vu libéré avec sept ans d’avance pour ‘conduite exemplaire’, à la demande d’un haut dignitaire de la ville de Moulins.

    On lui remit un paquetage contenant des souliers neufs ainsi que des pantalons de drap et un lainage de bonne qualité, une bourse pleine d’argent ainsi que divers objets utiles à son quotidien immédiat. Il était clair que des consignes précises avaient été ordonnées et pensées dans le moindre détail, mais il ne sut jamais la raison exacte d’une telle grâce.

    Il supposa que Mademoiselle Eléonore, finalement rongée par le remord avait avoué sa manigance, entraînant probablement par la même occasion la chute du médecin pour son faux témoignage. Mais cela ne restait que des hypothèses et quoiqu’il en fût, la Vie venait de lui faire un cadeau.


     

     

    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 57

    Et ce matin de février, debout sur les pavés devant la Mal Coiffée Lukas pleure presque de joie en pensant qu’après six années d’exil il lui est permis de rentrer chez lui et il murmure :

    - Thilde, ma mère et vous mes frères... je suis de retour... enfin...


    Chaque heure étant précieuse et puisqu’il en avait les moyens il se débrouilla pour prendre le train le jour même, pour la première fois de sa vie. Il s’arrêta le soir à l’auberge d’un petit bourg pour y passer la nuit  où il acheta à un colporteur pour quelques sous une peau de loup qu’il ne pouvait laisser filer.


    Son sommeil fut agité et il fit un rêve bref mais étrange dans lequel une louve accompagnée de ses deux louveteaux venait à lui et il en ressentait une joie immense. Au matin il sortit très tôt, son cabas en bandoulière et la fourrure sur ses épaules. Il lui restait encore pas mal de route, qu’il devait continuer à pied.


     


    Sur le grand chemin qui descend des Bois noirs jusqu’au village des Forges, un homme avance lentement puis s’arrête. Il n’est plus pressé, il prend le temps de contempler les toits d’ardoise des fermes d’où s’élèvent des fumées, là-bas par delà les champs. Les pommiers qui les bordent tendent vers lui leurs branches encore dénudées et lui souhaitent la bienvenue. Il sourit, attendri, et poursuit son avancée.



    (Au même moment)

    Thilde descend chez l’Adèle et emporte le gâteau aux châtaignes qu’elle a préparé. C’est dimanche et elle rejoint ses enfants pour le goûter. Ils aiment bien passer du temps chez cette grand-mère là car ils y retrouvent également Albin, Bastien et Landry, qui leur apprennent des tas de choses.


    Tous s’installent autour de la table, devant les bols de lait chaud au miel qu’Adèle a servis et ils commencent à manger. P’tit chat est même là lui aussi, et réclame quelques miettes en miaulant de temps à autres sous le nez de Finaud, qui passe sa vieillesse affalé à dormir au chaud devant l’âtre. Des plaisanteries et des rires fusent, le feu crépite dans la cheminée, c’est un beau dimanche, doux et serein.


    Et puis soudain, l’Adèle fait signe à tous de se taire car elle a entendu quelque chose. Effectivement c’est le chien de la Lucienne qui jappe avec insistance un peu plus haut dans le village, repris par celui du Raoul. Des regards interrogatifs se croisent et c’est alors que Luca dit tranquillement,  très sûr de lui :

    - Voilà notre papa qui revient...

    - Oui, c’est notre papa qui revient enfin... affirme Lucie en regardant sa mère.


    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 57

     


    Thilde a blêmi et tous se regardent en silence. Alors lentement elle se lève et se dirige vers la porte, tremblante. Au même instant, le heurtoir cogne contre le bois.

     

     

     

     


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