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    Clothilde s’apprêtait à repartir quand Lukas revint à la ferme. Elle avait apporté à ses voisins un gâteau aux châtaignes et s’était trouvée déçue de l’absence de son ami. Les enfants s’en délectaient et le jeune homme, en plaisantant, réclama un morceau avant d’en être définitivement privé.  

    Il savourait sa part en regardant Thilde qui bavardait avec sa mère. Puisqu’il était arrivé, la jeune fille préférait s’attarder...  


    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 19

    Très volubile elle parlait aussi avec ses mains et Lukas s’amusait de la voir aussi expansive. Les pommettes roses et le regard brillant, elle pétillait de bonheur. Sa chevelure dense et lourde rassemblée en chignon retombait de travers sur sa nuque. Quelques mèches commençaient à s’échapper du ruban. Elle se tenait près de lui et il dû se contenir pour ne pas avancer sa main vers les cheveux égarés dans son cou. De temps à autres elle tournait la tête vers lui et chacun de ses regards attisait l’émoi de Lukas qui sentait son coeur battre un tempo inédit. Son affection pour elle se transformait au fil des jours en une ébauche d’amour et il s’abandonnait de bon coeur à mille sensations jusqu’alors inconnues.


    Les pensées s’enchaînaient dans le secret de son esprit fiévreux, parasitées par des flashes funestes. 

    ‘Je vais tout faire pour te protéger ma petite Clothilde… je vais veiller sur toi sans relâche et malheur à celui qui osera te faire le moindre mal… je ne l’accepterai pas… Si seulement je pouvais en apprendre plus…’ 


    Il s’était déplacé pour mieux la regarder et prenait plaisir à détailler son visage de poupée. Ses yeux noirs s’étiraient en amande vers ses tempes ombrées d’un fin duvet, esquisse d’une chevelure envahissante. Ses cheveux bruns tirés en arrière s’implantaient bas sur son front et exposaient sa peau déjà un peu hâlée par les journées passées dans les champs ou au jardin. Un grain de beauté insolent estampillait un côté de son menton, juste sous la commissure de ses lèvres gourmandes.  


    Si Lukas poussait comme un champignon, il n’en était pas de même pour Clothilde ; la faute à l’hérédité maternelle sans doute. Elle lui arrivait tout juste à l’épaule. Ses formes généreuses distendaient un peu les boutonnières de son corsage blanc devenu trop petit et attiraient les regards des autres garçons du village. Ce qui la faisait rabattre les pans de son gilet sur sa poitrine devant les fréquentes oeillades de convoitise, et surtout depuis qu’elle avait jeté son dévolu sur Lukas. Elle remettait vertement les uns et les autres à leur place lorsqu’ils devenaient inconvenants au gré de quelques réflexions ou plaisanteries déplacées, préservant ainsi sa réputation.  


    Elle était pulpeuse, pleine de vie et jolie comme une fleur à peine éclose ; de quoi tourmenter le cœur de Lukas qui ne cherchait même pas à s’en défendre. 

    Réalisant qu’elle était là depuis près d’une heure, elle s’excusa auprès d’Adèle pour le dérangement et décida de prendre congés en expliquant :  

    - J’ai du linge qui attend dans la lessiveuse… je dois aller au lavoir pour le rincer…  

    - Je vais t’aider à le transporter si tu veux… proposa Lukas. 


    Thilde s’occupait toujours de la lessive et le garçon savait que c’était une tâche pénible. Après avoir fait bouillir le linge dans la lessiveuse à la maison, il fallait l’emporter sur une brouette jusqu’au lavoir tout en bas des Forges pour le brasser dans l’eau froide, le rincer, l’essorer, le ramener pour enfin l’étendre dans le jardin. Toutes les femmes s’y soumettaient régulièrement, en revenaient les mains rougies et souvent gercées, mais elles n’avaient pas d’autre choix. 


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    C’est ainsi que Lukas accompagna la jeune fille vers chez elle. Tous deux marchaient nonchalamment pour faire durer le plaisir de ce trajet côte à côte. Une minute à peine suffisait pour se rendre d’une ferme à l’autre, mais ce dimanche après-midi le jeune homme aurait préféré marcher des heures près de Thilde.

    Malgré l’appréhension de rappeler les visions, il posa tout naturellement une main sur son épaule. Il la fit glisser doucement vers les cheveux évadés du ruban et jouant avec la mèche, il l’enroula autour de ses doigts. Il frôlait le cou de Clothilde, goûtant ainsi la douceur de sa peau, en remerciant le ciel pour ce moment de grâce. 


    Devant la porte de chez elle, alors qu’elle s’apprêtait à tourner la poignée, il lui prit le menton et releva son visage vers le sien, afin de déposer, avec une infinie délicatesse, un baiser sur son front. 


    Le ciel lui avait aussi offert un moment de répit, le laissant sereinement esquisser le brouillon de son amour. 

     


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    En remontant du lavoir ils virent de loin l’attroupement près du puits collectif. Lukas activa le pas, faisant tressauter la brouette sur les cailloux du chemin. Les hommes parlaient en agitant les bras, les femmes près d’eux les écoutaient en hochant la tête. 

    - Que se passe-t-il ? murmura Thilde  

    Lukas ne répondit pas mais se doutait de la cause de ce rassemblement et son cœur se serra.  


    Ils approchaient et des bribes de la conversation leur parvenaient. 

    - Il faut les empoisonner !!! grondait le Raoul  

    - les fusils j’vous dis… il faut y’aller avec les fusils !!! maudites bêtes… renchérissait le père Gervais tout en tapant son bâton sur le sol près de son pied tors. Il en était congestionné de rage. 


    Clothilde renouvela sa question en direction de son père Louis le maigre. 

    - le Raoul a perdu deux agneaux… et l’Ernest a vu un loup dans les hauts champs…  


    Lukas avait déposé la brouette près du massif d’hortensias, sans perdre un mot de la discussion. Il rejoignit le groupe d’hommes. Consterné, il se trouvait face à un réel problème. Les paysans n’épargneraient pas les loups s’ils s’en prenaient aux troupeaux en liberté. On avait renoncé depuis plusieurs saisons à garder les bêtes au pâturage. Les femmes ne gaspillaient plus leur temps assises dans l’herbe à surveiller les vaches ou les moutons. Quelques piquets reliés par des cordes de chanvre servaient désormais de clôtures de fortune.


    Elles suffisaient juste à empêcher le vagabondage du bétail, mais pas l’intrusion des loups affamés. De la petite louve chétive souffre-douleur de la meute. La Maudite.  


    Chacun y allait de sa verve et les solutions toutes aussi radicales les unes que les autres étaient proposées. Des mots de mort lente et atroce fusaient, tels que fosse à loups, collets, assommoirs, pieux perforants, appâts à verre pilé, viande empoisonnée, pièges à mâchoires. Un véritable arsenal de l'horreur pour accomplir une sale besogne. 

    Lukas ressentait l’échauffement haineux monter de l’assemblée et s’en détourna, exaspéré par la conspiration menée contre ses protégés.


    Il se dirigeait vers le jardin où Thilde étendait son linge, quand il entendit la voix pointue de Bérénice suggérer une autre solution : 

    - Il faut remettre les chiens aux champs pour éloigner les loups.... ils ne servent plus à grand-chose de nos jours...! ça passe son temps à mangeailler et à dormir...!!!


    La Lucienne approuva en déclarant qu'elle retournerait aux champs dès le lendemain avec Dina pour garder ses vaches, comme avant. Elle y emmènerait du tricot ou du raccomodage, comme avant. 


    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 20

     

    Enfin des paroles sensées... Lukas les remercia en silence pour leur sagesse tandis que les hommes contestaient en maugréant, les uns plus fort que les autres. Il rejoignit Thilde qui s’activait et il lui tendit sans un  mot les dernières chemises à accrocher.  

    - Je n’aime pas ça du tout... finit-il par dire tout bas 

     

    Elle remarqua alors son visage soucieux et prise d’un élan de tendresse, elle se rapprocha et l’enserra de ses bras. Alors il joignit ses mains derrière la tête de Clothilde et l’attira amoureusement vers sa poitrine, afin qu’elle y pose sa joue. Leurs yeux se fermèrent et ils restèrent là dans le jardin, près du merisier qui bruissait au souffle du crépuscule, sans plus entendre les éclats des adultes furieux ni même le babillage des hirondelles qui virevoltaient autour d’eux dans les ombres naissantes. 

     

     


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    Il sort de sa tanière, hume l’air frais de l’aube. La douleur se fait dure et lui broie les entrailles ; il reconnaît la faim dans sa carcasse creuse. Sa gueule se souvient de la chair tendre et chaude qui apaise sa chair et donne la vigueur. Dans la lumière grise du sous-bois embrumé, il tend le cou et hurle pour rassembler les siens. Il est temps de partir, il ne peut plus attendre.

    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 21Il se met à courir et sous ses larges pattes un relent d’humus froid monte des feuilles humides. Rôder pendant des heures, poursuivre ventre à terre une odeur animale et sacrifier la vie. Ses frères sont à la traîne, ils n’ont pas son ardeur… Le museau en avant il s’élance et bondit sans se préoccuper des ronces acérées. Les épines traîtresses écorchent ses oreilles et les branchages bas fouettent ses flancs meurtris.

    Peu importe... il le sent... il approche...  

    Il entrouvre sa gueule et affûte ses crocs, ses babines froncées laissent écumer sa bave.  

    L’animal traqué, dans sa fuite inutile sait bien qu’il est perdu. Dans un ultime effort il étire son corps pour vivre encore un peu ; juste le temps d’un râle. Alors il abandonne car dans un éclair noir la mort s’abat sur lui, il n’est plus qu’une proie…  


     Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 21

    Il a broyé la gorge de ses mâchoires solides et le goût du sang chaud adoucit sa torture. Il serre encore un peu pour briser cette vie puis lâche son butin. Il flaire la dépouille puis relève la tête vers les frondaisons où le soleil miroite, pour appeler ses frères d’un hurlement glorieux. 

     

    Il les entend là-bas mener leur sarabande, et leurs chants qui ricochent lui arrivent par vagues. Son cœur ne gronde plus ; il redevient paisible…  

     

    Seul un goût âcre imprègne sa langue mais la rivière est loin… Il lèche la blessure d’une patte écorchée…

    Soudain, il se sent aspiré…. 

    ….et un violent sursaut le ramène… le sang cogne à ses tempes et son corps est en sueur… Il s’extirpe de son rêve avec peine et regrets. L’envie de s’ébrouer lui Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 21parcourt l’échine, mais il se recroqueville et son corps ramassé frissonne… Il a froid tout d’un coup ; la peau tendre a remplacé l’épais pelage… Il serre ses bras croisés contre sa poitrine et étreint ses épaules entre ses doigts crispés. Dans ses narines flotte encore une odeur de mousses arrachées, un effluve d’ailleurs… Comme un parfum de nostalgie d’une autre vie, celle où il était loup, il y a bien longtemps, sûrement des millénaires. Une vie parmi tant d’autres, celles de Lukas, cœur de loup.  



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