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    Lukas était à l’affût depuis plusieurs jours. Malgré le répit accordé par les loups aux troupeaux, le père Gervais avait réussi par son acharnement à répandre le doute dans la tête des autres paysans.  


    Chaque jour c’était la même rengaine, et il semait habilement l’inquiétude, attisait l’animosité et la haine : 

    - Un loup inoffensif est un loup mort … tant qu’ils sont à nos portes nos bêtes sont en danger ! Pensons aussi à nos enfants, et oui...! tout est bon à un loup affamé… Pour l’instant, ils sont calmés… mais demain.. !!?  


    Petit à petit, les hommes se raliaient à ses belles paroles pleines de lucidité. 

    Et à ses moments perdus, Lukas, les yeux rasant le sol, balayait les herbes du bas-côté avec son bâton, espérant ainsi repérer d’éventuels pièges à loups ou autres collets déposés par l’un ou l’autre des paysans en colère. Le grand chemin était bordé des prairies où les animaux paissaient du matin jusqu’au soir, de quoi tenter les prédateurs. Et même si les femmes avaient repris leur poste de bergère ou de vachère ils pouvaient fort bien s’aventurer jusque là et se faire happer par les dents et les filins d’acier. Clothilde aussi surveillait ses moutons les après-midi ; elle remplaçait sa mère en poste le matin.  


    Mais le garçon n’avait encore rien trouvé de dangereux pour ses compagnons. Tout en fouillant dans les broussailles il pensait surtout à son père qui nourrissait une rancune toute particulière vis à vis des loups depuis qu’il était estropié et qui réfléchissait à la façon dont il pourrait assouvir sa vengeance. D’ailleurs il ne partait plus sans son fusil sur l’épaule, au cas où... 

     

    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 28


    Ce soir là le père Gervais rentra plus tard que d’habitude chargé d’un lourd cabas qu’il vida près de la cheminée, sous les yeux horrifiés de Lukas. Sur la pierre plate il venait de poser deux grands pièges à mâchoires, deux tueurs hors catégorie, ainsi qu’une fouine et une corneille ensanglantées encore chaudes, abattues par lui-même. Des appâts pour une guerre déclarée.  

     

    - Je suis allé au Breuil, trouver l’Emile pour lui emprunter ses pièges.... !!! expliqua-t-il triomphant  

    ‘Il faut se débarrasser de ces sales bêtes ! Demain, tu viendras avec moi aux bois noirs, pour m’aider à les poser...’ conclut-il en se tournant vers Lukas.  


    Lukas réfléchissait vite, et malgré la rage qui bouillonnait en lui il acquiesça d’un hochement de tête. Il ne s’indigna pas ouvertement, au contraire il fit bonne figure.  


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    Oui, il irait mettre en place avec le père les mâchoires d’acier à la gueule    béante, offrant sournoisement leurs appâts mortels. Les loups affamés s’en approcheraient et les fers se refermeraient violemment dans un claquement horrible, enfonçant les dents acérées dans les chairs, déchiquetant une patte, broyant une tête.

    De quoi exterminer la meute peu à peu. 

    Pas si sûr. 

     


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    Le premier piège fut vite installé, juste derrière les hauts champs, au pied des haies. Celui-ci n’avait plus sa chaîne pour le maintenir sur place. La bête pourrait s’enfuir avec avant de mourir, c’était un risque à prendre. 

    L’autre fut arrimé à l’un des premiers arbres des grands bois, puis recouvert de feuilles mortes, la fouine posée bien en vue pardessus.  

    ‘Voilà une bonne chose de faite... on en sera bientôt débarrassé ! demain j’espère qu’on aura une bonne surprise, hein, mon gars.. !?  

    - oui mon père, bon débarras… ces loups sont dangereux…  

    Lukas s’entendit prononcer des paroles qu’il ne pensait pas. Il en était réduit à mentir et jouer double jeu. S’il avait accompagné son père, c’était dans l’unique but de mieux le contrer.  

    Gervais s’apprêtait à s’en retourner au village, mais Lukas en  avait décidé autrement et prétexta :  

    - Clothilde m’a demandé de passer au champ pour rassembler les moutons avec elle… je rentrerai plus tard.

    Le père regarda son fils, cracha sa vieille chique et se détourna pour regagner les Forges. Lukas, son bâton à la main, suivit d’un pas lent le sentier qui longeait les pâtures, puis s’arrêta au bout d’une minute. Les sens aux aguets il écouta, attendit un moment. Soudain il se décida et se précipita en courant vers le premier traquet, dissimulé sous de jeunes fougères. Du bout de son bâton il éjecta d’un geste sec la corneille et le piège claqua dans le vide. Il récupéra le tout et pénétra dans les bois noirs, vers le second traquet.  

    Avec précaution Lukas glissa le bâton sous la fouine  et le souleva habilement, de façon à ce que les mâchoires  se referment  sur le corps inerte de la bestiole. Sous le choc les yeux éteints saillirent de la tête et la gueule s’ouvrit en une grimace de mort.  

    Il se redressa et poussa un soupir de soulagement. Mais ce n’était que partie remise. S’il pouvait se débarrasser du premier piège, celui-ci, enchaîné au tronc, ne pouvait que rester là. Pour la suite, il aviserait le moment venu, il ne fallait surtout pas éveiller les soupçons. Avant de repartir, il balança la corneille dans les broussailles ; un des loups saurait bien la trouver pour en profiter.

    Mais il avait encore une dernière chose à faire avant de rentrer et se dirigea vers le petit bois des Groppes. Il lui fallut peu de temps pour le traverser ;  les arbres se raréfiaient, laissant la place à des éboulis de roches de plus en plus serrées sur le terrain en pente. Il savait qu’il devait jouer de prudence.

    Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 29

    Il se trouvait sur le site des anciennes mines d’or à ciel ouvert, et certaines excavations n’avaient pas été comblées. Elles étaient signalées par de simples piquets en fer, rarement repeints. C’était justement l’une d’elle qu’il cherchait afin d’y balancer le piège assassin. Il sourit quand il aperçut le premier poteau rouillé ; il avançait, testant le sol avec son bâton et stoppa au pied de la fosse. Alors sans aucun remord il y jeta le traquet jusqu’au fond de l’oubli.  

     


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    Thilde sortit de la bergerie et bloqua le loquet. Elle commençait à se lasser de ces après-midi passés à veiller sur les moutons. Elle ne pouvait se contenter de ces heures figées dans l’attente, elle avait besoin de bouger, vérifier les plants du potager ou préparer le caillé, n’importe quoi mais s’occuper.  

    Même si ses pensées dérivaient toujours vers Lukas et lui offraient de doux moments de rêverie.  


     Blog de lukasloup : Lukas, coeur de loup, Episode 30

    Son coeur s’emballa au souvenir de son étreinte de l’autre soir, et s’affola quand elle le vit arriver, rayonnant, son bâton sur l’épaule. Il s’approcha, lui effleura la joue du revers de ses doigts et son regard ardent la brûla.  

    Lukas si près de Thilde que leurs  âmes se mêlaient, s’imbriquaient en une danse invisible mais qu’ils ressentaient intensément.  

     

    Là-bas, en bas du village un chien aboya, sitôt repris par un autre, encore et encore ; ça n’en finissait pas. Des aboiements insistants, furieux, accompagnés d’un bruit de roues sur les cailloux de la ruelle.  Lukas et Clothilde redescendirent vers le puits collectif en se demandant la raison de cette agitation.  

     

    Quelques paysannes, devant leur porte, regardaient ceux qui arrivaient sur le chemin. Ils étaient rares les inconnus qui passaient par les Forges.  


    Quatre chevaux peinaient à tirer des roulottes de bois et de toile qui bringuebalaient sur les pierres. Ils allaient lentement, soulevant un nuage de poussière brune. Les hommes marchaient d’un pas lourd près des attelages, le licol en mains ; les bohémiennes perchées haut sur les sièges de guingois, cramponnaient leurs gamins crasseux pour qu’ils ne tombent pas. Ils étaient silencieux et leurs yeux sombres semblaient sans joie. De temps à autres, une tête cognait contre le bois d’une carriole.  


    Sur les côtés de la dernière roulotte étaient accrochées des gerbes de joncs séchés, des javelles de paille de seigle et des brassées de roseaux. Les bouquets secs se balançaient au bout de leur ficelle. Derrière le convoi un chien fatigué se traînait sur les pas de son maître. Le bohémien porta son flûteau à sa bouche et se mit à jouer sans conviction une mélodie incertaine. Tout habillé de noir et auréolé de ténèbres, il réajusta sur sa tête son chapeau au large bord.  

    Assis sur le bord de l’abreuvoir Lukas et Thilde regardaient s’approcher la smala. Les sabots des chevaux heurtaient les pierres et les roues grinçaient, recouvrant les aboiements.

    Lukas reconnut immédiatement le bohémien et l’observa avec attention. En passant, l’homme abandonna le flûteau à son lacet et dévisagea Clothide de son regard perçant. Lukas se raidit ; il avait remarqué de la convoitise bestiale dans ses yeux. Gênée, la jeune fille baissa la tête et se détourna.

    La détaillant de la tête aux pieds, il continua son chemin presque à reculons, si bien qu’il trébucha sur le chien qui marchait trop près de lui. Irrité, il lui jeta un coup de pied et l’animal se précipita vers Lukas en geignant. Le jeune homme prit le chien tremblant dans ses bras et lança un regard glacial vers la brute. Alors le bohémien tourna les talons et se pressa pour rattraper les roulottes en éclatant de rire bruyamment.

    Un rire rocailleux qui lui glaça le sang. 


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